STOP : les travailleurs étrangers ne sont pas des produits !

Le conseil syndical sur la traite des êtres humains de la FGTB Chimie-Pétrole s’est réuni ce lundi 21 novembre. Cette réunion fait suite à la traite d’êtres humains constatée sur les chantiers de Borealis et BASF fin juillet. Bayram fait partie des victimes. Il a témoigné de ce qu’il a vécu en compagnie d’autres travailleurs bangladais. De tels abus sont difficilement concevables dans notre pays, ils sont pourtant réalité.

Une exploitation bien orchestrée

   Jan Buelens
     Jan Buelens

"Pour pouvoir rallier la Belgique, les travailleurs bangladais ont dû débourser 7 à 8.000 €. Après quoi ils percevraient 2.500 € pour 180 heures de travail. Ils se sont donc endettés, ont vendu des terrains ou des bijoux pour pouvoir travailler ici" déclare Jan Buelens, avocat. "Après un an de vie dans d'autres pays et dans des conditions éprouvantes, ils sont finalement arrivés en Belgique (lire leurs témoignages ici)."

Outre les 17 Bengalis et les 13 Ukrainiens, Jan Buelens représente également les intérêts de 76 travailleurs turcs. Bayram est l'un des travailleurs turcs victime de cette exploitation.

 

"J'ai de nombreuses années d'expérience avec de tels grands projets et j'ai déjà travaillé dans 10 pays différents. Via une agence d'intérim turque, j'ai pu venir en Belgique. Avec 104 autres travailleurs, j'ai subi des tests et j'ai dû attendre que l'agence mette mes papiers en ordre", raconte Bayram. "Finalement, j'ai dû attendre huit mois avant de pouvoir enfin venir en Belgique. Huit mois sans travail et donc sans salaire. Ce n'était vraiment pas facile de subvenir aux besoins de ma famille au quotidien", dit-il.

"Les travailleurs bangladais ont vécu la même situation", embraie Jan Buelens. "Eux non plus n’ont pas su envoyer d'argent à leurs familles pendant plusieurs mois. Quand ils ont pu travailler, ils ne se sont pas plaints malgré les abus, car ils avaient enfin du travail. Ils partaient tôt le matin en bus avec d'autres travailleurs étrangers et rentraient tard le soir, ils percevaient un maigre salaire (1.200 € pour 200 heures de travail au lieu de 2.500 € pour 180 heures comme convenu initialement !) et subissaient de mauvaises conditions de travail".

Des travailleurs corvéables à merci

Bajram
          Bayram

"Quand je suis enfin arrivé en Belgique en mars 2022, j'ai été propulsé sur le chantier de l’entreprise chimique par le superviseur sans la moindre formation (concernant les produits chimiques dangereux, par exemple). Il m'a rapidement fait comprendre : si tu ne veux pas travailler, alors fais demi-tour." "J'avais peur", dit Bayram. « Peur de ne pas récupérer mes papiers. J'ai donc travaillé 10-13 heures par jour... et j'ai reçu un contrat. Mais un faux contrat, sur lequel figurait mon nom mais pas ma signature et sur lequel la date n'était même pas correcte, car je travaillais dans un autre pays pendant la période mentionnée."

L'inspection sociale a fini par être informée du problème sur les chantiers de Borealis et de BASF. "Un juge, qui hébergeait un Ukrainien, a contacté Borealis. Borealis a demandé des explications, mais a insisté sur le fait que le projet devait se poursuivre", déclare Jan. Lorsque l'inspection sociale est arrivée sur place, tous les travailleurs - ainsi que certains responsables du site - ont été rassemblés dans une pièce. L'inspection a posé des questions, mais personne n'a osé répondre. "Ils étaient clairement menacés : osez dire quoi que ce soit et vous serez illico presto dans le premier vol de retour", raconte Jan Buelens.

Finalement, les travailleurs ont contacté l'inspection sociale. Résultat ? Le projet a été mis à l’arrêt. Tous les ouvriers, avec des années d'expérience, se sont retrouvés sans emploi ! "Je pensais que la vie serait meilleure en Europe, mais ce projet a été néfaste pour ma famille et moi", explique Bayram ému. "Moi-même, je suis sans emploi depuis quatre mois, je ne peux rien envoyer à ma famille. C'est vraiment problématique. Le gouvernement flamand m'a remis un article 51 (= ce n'est pas un permis de travail, mais une preuve que vous pouvez travailler ici), mais après de nombreuses demandes, il s’avère que ce n'était pas suffisant pour être engagé", dit Bayram. " Et si Bayram ne trouve pas de travail en Belgique d'ici le 19 décembre 2022, il devra retourner en Turquie... sans ses derniers salaires. Il n'a effectivement toujours pas reçu ces salaires, apparemment le retard signifie ici l'ajournement", poursuit Jan.

Entre 18.000 et 23.000 victimes de traite d’êtres humains en Belgique

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Anton Van Dyck et ​​​​​​Christian Mulders

"Payoke recueille et accompagne les personnes victimes de traite d’êtres humains, du trafic d'êtres humains... en Flandre", explique Anton Van Dyck, directeur de Payoke. "Quant à Sürya, il s’agit d’une organisation sociale fondée dans les années 90 en Wallonie, par son biais, nous aidons également les victimes", explique Christian Mulders, directeur de Sürya.

"En Belgique, on estime qu'entre 18 000 et 23 000 personnes sont victimes de traite d’êtres humains. Chaque victime a ses propres problèmes et vulnérabilités, et nous devons apporter notre soutien à chacune d'entre elles", explique Anton. "En effet, derrière chaque histoire se cache une personne unique. Chaque histoire est différente et doit être traitée différemment" poursuit Christian.

"Pour l'affaire Borealis/BASF, nous avons dû assister 174 victimes, poursuit Anton, alors que nous avons une équipe de six collaborateurs psychosociaux. Pour vous donner une idée : normalement, nous traitons environ quatre cas par mois, mais là nous étions confrontés à 70 cas... et cela sans ressources. Grâce à la charité et à nos propres réserves, nous avons pu apporter un soutien aux victimes pendant trois mois. Et finalement, nous avons obtenu un soutien par le biais du CPAS".

"Cette affaire met le doigt sur la plaie : si ces travailleurs ne disent pas ce qu'ils vivent, alors personne ne sait ce qui se passe sur un tel chantier. Et si quelqu’un remarque ou entend quelque chose, il faut  nous contacter", ajoute M. Anton. "Et pourquoi ne pas mettre en place un système de label ? Les entreprises qui détiendraient un tel label montrent leur respect envers leurs travailleurs (étrangers)", ajoute Christian.

La FGTB en lutte contre l’exploitation des travailleurs

Andrea
Andrea Della Vecchia

En tant que FGTB Chimie-Pétrole, nous nous opposons à toute forme d'exploitation des travailleurs, quelle que soit leur origine. "Chaque personne qui se trouve sur le territoire belge doit avoir les mêmes droits, la même sécurité sociale, le même salaire...", déclare Andrea Della Vecchia, secrétaire fédéral de la FGTB Chimie-Pétrole. "Nous continuerons à sensibiliser nos délégués sur la problématique et nous les soutiendrons. Notre syndicat s’engage à défendre les intérêts de tous les travailleurs, indépendamment de leur origine ou de leur type de contrat", ajoute-t-il en conclusion.