Bangladesh. Rana Plaza & Covid 19, même combat !

Il y a sept ans, le 24 avril 2013, 1 138 personnes mouraient dans l’accident le plus meurtrier de l’industrie de l’habillement. Ce jour-là, les travailleuses et travailleurs du Rana Plaza ont été sciemment contraints d'entrer dans le bâtiment près de s’effondrer sous la menace de perdre leur mois de salaire. Aujourd'hui, au cœur de la pandémie, des millions de travailleuses et de travailleurs doivent à nouveau choisir entre leur santé et leur sécurité d'une part, et leurs moyens de subsistance de l'autre. Une fois de plus, ils seront forcés d'entrer dans les usines en sachant parfaitement qu'ils y risquent leur vie. N’a-t-on tiré aucune leçon de la catastrophe du Rana Plaza ? De fait, la pandémie menace les acquis obtenus. Elle met au défi les marques et notamment les entreprises belges, d’assumer leur responsabilité vis-à-vis des travailleuses et travailleurs de leurs filières d’approvisionnement. achACT a interrogé neuf entreprises belges sur leur politique de commande et interpelle les marques internationales qui ont annulé des commandes déjà produites sans payer leurs fournisseurs.

Menaces sur les acquis de l’Accord et les prémisses d’une protection sociale

Signé en mai 2013, en réponse directe à l’effondrement du Rana Plaza, l'Accord sur la sécurité des bâtiments d’usine au Bangladesh a permis de réaliser un travail considérable pour rendre les usines plus sûres pour plus de 2 millions de travailleuses et de travailleurs de l’habillement. Financé par près de 200 marques signataires, l'Accord couvre plus de 1600 usines où il a été remédié à 91 % de tous les défauts de sécurité constatés lors des inspections du programme. 1279 comités de santé et sécurité ont été mis en place et 1,8 millions de travailleurs ont été sensibilisés à la sécurité. Les activités de l’Accord sont actuellement mises en veilleuse du fait du lock down et de la fermeture des usines. Mais dans un an, les opérations de l'Accord devraient être prises en charge par un Conseil national de durabilité du prêt-à-porter (RSC), auquel participera cette fois l'Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA), représentant les propriétaires d'usines.

Cette prochaine étape garantira-t-elle une même efficacité que l’Accord, fondée sur son aspect contraignant, sa transparence, la participation des travailleurs et l’engagement des marques de financer les mises aux normes des usines ? Rien n’est moins
sûr. La crise du Covid-19 a pour l’heure suspendu le programme de l’Accord qu’il serait utile de mener à terme avant toute transmission. Sans ces garanties, le RSC ne pourra guère se distinguer des initiatives volontaires d’entreprises qui n'ont pas réussi à empêcher l'effondrement du Rana Plaza.

Au cours des sept dernières années, ça bouge côté protection sociale au Bangladesh. De nombreux acteurs de l'industrie ont travaillé avec diligence pour développer un système d’assurance couvrant les accidents de travail. afin de répondre à l'insécurité financière des victimes de tels accidents et de leurs familles. Il est de la plus haute importance de veiller à ce que la mise en place de ce système tant attendu ne soit pas davantage retardée. La crise actuelle devrait au contraire inciter à créer un filet de sécurité sociale solide et conforme aux normes de l'Organisation internationale du travail en matière d'indemnités d’accident de travail, de chômage et d'assurance maladie. Le gouvernement du Bangladesh doit jouer un rôle de premier plan dans la mise en place de tels systèmes, mais ceux-ci ne peuvent être financés que si leur coût est répercuté sur le prix des vêtements payés par les acheteurs internationaux.

Entre annulation de commandes, lockdown et pertes de salaires, les marques n’assument pas leurs responsabilités

Après l'annonce par le gouvernement du Bangladesh, le 25 mars, d'un lockdown dans tout le pays jusqu'au 4 avril, de nombreuses usines de confection ont fermé et des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs sont retournés dans leurs villages. À la fin de cette période, des milliers de travailleuses et de travailleurs ont été contraints de retourner à l’usine pour reprendre le travail et toucher leur salaire de mars (l’équivalent de 82 à 100 €). Alors que les transports publics restaient à l’arrêt, certains sont revenus à pied ou par des moyens non conventionnels. A leur retour au travail, nombre d’entre eux ont été informés de la prolongation de leur période de congé ou de la cessation de leur emploi et sont pour la plupart repartis sans leur salaire de mars.

Une réouverture des usines est actuellement envisagée pour le 25 avril. Mais les perspectives sont incertaines. Avec la fermeture des magasins et la baisse de la consommation d’habillement sur les marchés internationaux dont le Bangladesh dépend pour 84% de ses revenus à l’exportation, l'industrie a dû faire face aux annulations de commandes en cours et à l’absence de nouveaux engagements. Selon le BGMEA, le manque à gagner généré par ces annulations s’élevait déjà à 2,94 milliards de dollars au 1er avril 2020. Un sondage de fournisseurs bangladeshi effectué fin mars 2020iii indiquait que plus de la moitié d’entre eux ont vu la majorité des commandes en cours de production ou finalisées annulées par les marques et enseignes. Selon ce même sondage, 72,1% de ces annulations ont été réalisées sans payer les matières premières déjà achetées par le fournisseur et 91,3% sans payer les coûts de fabrication. Dans de nombreux cas, l’annulation des commandes sans indemnité viole les contrats passés entre les marques et leurs fournisseurs. Elle fait en sorte que ce soit les travailleuses et les travailleurs qui finissent par en payer le prix.

Ranu travaillait dans une usine fabriquant depuis déjà longtemps des sweaters pour C&A. Elle a perdu son travail lorsque les marques ont annulé leurs commandes à cause de la crise du Covid-19. Elle s’inquiète : « Tout me paraît sombre maintenant que j’ai été licenciée. Je ne sais pas comment nous allons survivre dans les jours prochains. Le petit commerce de biscuits ambulant de mon père ne rapporte pas grand-chose. Et plus rien depuis le lockdown. Va-t-on à nouveau souffrir de la faim ? Comment vais-je pouvoir soutenir les frais scolaires de mes deux petits frères ? »

La première responsabilité des marques et enseignes vis-à-vis de leur filière est de payer leurs commandes et de mettre en place des systèmes financiers qui garantissent la rémunération intégrale des travailleuses et des travailleurs pendant toute la durée de la crise, faute de quoi ces derniers perdront tout moyen de subsistance, sans sécurité de retrouver leur emploi.

Interpellés par des organisations de défense des travailleurs, certains gros acheteurs internationaux réticents ont accepté de payer pour leurs commandes déjà en production. Cependant, à ce jour, un nombre important de gros acheteurs du Bangladesh, notamment C&A, Primark, Gap et Bestseller (Vero Moda, Jack & Jones, Only, etc.), refusent de payer leurs commandes déjà exécutées. Avec son réseau international, achACT continue à interpeller ces entreprises.

Parmi les entreprises belges sondées par achACT, Stanley & Stella, Buissonnière, Cassis Paprika, J&Joy, Bel-confect et Trafic déclarent ne pas avoir annulé de commandes. As Adventure, The Cotton Group (B&C) et Mayerline n’ont pas répondu à notre enquête.

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