Coronavirus: la santé au travail est le chaînon manquant

Dans leur carte blanche relayée par le journal Le Soir du 17 juin, Paul Lootens (ancien président de la Centrale Générale - FGTB) et Maxime Coopmans (du C-Dast) le monde du travail moderne dans lequel les objectifs de productivité, rentabilité et profits ne peuvent pas être une priorité.

Plus de la moitié des contaminés ont vraisemblablement été contaminés au travail*. Cela semble évident pour le personnel dans les hôpitaux, les maisons de repos, les soins et services à domicile, etc. mais c’est aussi probablement le cas pour les chauffeurs dans les transports publics et la distribution, les éboueurs, les services de gardiennage et de nettoyage, la construction, le commerce, l’alimentation, l’industrie, les entreprises de travail adapté, (plus récemment) le secteur des abattoirs, etc

Les raisons en sont multiples. Du manque de masques et de vêtements de protection adéquats, de l’impossibilité à respecter les distances de sécurité dans les bus-trains-métros ou camionnettes… au fait de devoir retirer son masque pour s’entendre dans un environnement bruyant ou très chaud, d’être entassés dans des réfectoires, vestiaires ou de devoir travailler face à face, l’un à côté de l’autre sur les lignes de production. Dans tous ces contextes professionnels, c’était presque business as usual.

Contrairement à d’autres pays, la Belgique n’a imposé quasiment aucune limite aux activités des entreprises, sinon la recommandation du télétravail. Dans les secteurs essentiels et cruciaux, il n’y avait même aucune règle contraignante, pas même le b.a.ba de la prévention, à savoir le port du masque. Les gouvernements ont été incapables de fournir, en temps et en heure, des masques à ses « héros & héroïnes », que ce soit le personnel soignant, les caissières ou encore les facteurs.

Pourtant le rôle déterminant des contacts au travail dans la dispersion du virus crève les yeux, et les études qui démontrent que les travailleurs les plus touchés sont les moins protégés, affluent que ce soit de France ou d’Angleterre. Il est choquant de constater que Sciensano, l’institution publique en charge du suivi de l’épidémie et de la collecte des données n’a pas jugé utile d’enregistrer et de mentionner la profession des personnes hospitalisées ou testées positives pour le Covid-19s. Pourtant l’usine Skechers de Milmort, fabricant de chaussures de sport a vu, le même jour, deux de ses travailleurs décéder des suites du Covid-19. Retenons aussi le cas de Mohammed, travailleur décédé de Colruyt à qui on avait apparemment refusé qu’il porte un masque, ou de cet autre magasin qui a dû fermer quand une grande partie de son personnel a été diagnostiquée positive au coronavirus.

Malgré des témoignages très concrets du vécu sur le terrain par les travailleuses et travailleurs, il n’y a pas de moyens d’enquête, de collecte de données, ni d’analyse des relations entre conditions de travail et santé mis en place par les gouvernements. Une fois de plus le travail comme déterminant de santé n’a pas été pris en compte. Pire même, car les patrons se font sourds et aveugles : « La plupart des gens ont été contaminés aux vacances de ski, ou lors de soirées. Le lieu de travail est peut-être le plus sûr », dixit la FEB.

Fort heureusement, dans certains cas, les travailleurs ont eux-mêmes, avec l’appui des délégués syndicaux, obligé les employeurs à fournir des masques et surtout à avoir des réunions de CPPT (Comité de prévention et de protection au travail), des avis de la médecine du travail ou des contrôles pour obliger les responsables économiques et politiques à garantir que le travail puisse se dérouler dans des conditions de sécurité au moins minimales. Dans ces cas-là, l’obligation de faire des analyses de risques et d’en assumer les conséquences a prévalu.

C’est ce rapport de forces là, sur le terrain, qui est nécessaire pour ne plus devoir constater que 75 à 85 % des entreprises contrôlées ne sont pas en ordre au regard des mesures de protection recommandées. Les syndicats ont raison de revendiquer qu’elles deviennent obligatoires. Et en cas de danger imminent un droit collectif d’arrêt de travail s’impose, c’est prévu dans le Code du bien-être au travail sous la forme du droit de retrait. C’est à l’employeur d’assurer qu’un·e travailleur·euse sorte de son lieu de travail dans le même état de santé que quand il·elle y est entré·e.

Les mesures de protection collective (nettoyage des locaux, des outils et instruments, distance entre collègues de travail…), les mesures de protection individuelle, le dépistage des travailleurs contaminés et leur suivi, la gestion de la contagiosité sur les lieux du travail… font partie des responsabilités des employeurs et c’est aux organisations syndicales de les faire adopter par les CPPT, de façon concertée si possible ou de les imposer collectivement par le rapport de force.

Rien ne justifie qu’un·e travailleur·euse revienne malade, infecté·e, blessé·e, handicapé·e, voire pire à cause de son boulot. Toutes les mesures de prévention à prendre sont connues. Mais ceci implique de revoir l’organisation du travail en fonction de la santé et la sécurité des travailleurs·euses. Les objectifs de productivité, rentabilité et profits ne peuvent pas être une priorité. Le processus de reconnaissance de la Covid-19 au titre de maladie professionnelle, nous interroge sur les débats qui animent FEDRIS (anciennement Fonds des Maladies Professionnelles) lorsqu’il s’agit de définir les critères d’exposition et de reconnaissance pour que la maladie figure sur la liste des maladies professionnelles. Ces débats posent la question de la responsabilité sociale des entreprises et de l’importance des conditions de travail comme déterminant de santé publique. Un appel pour un Institut de santé publique dédié à la santé au travail, qui reprendrait des capacités d’enquête et de collation de données du SPF Emploi, SPF Affaires Sociales (en accidents du travail et maladies professionnelles), INAMI… trouve plus que jamais toute sa pertinence.

Actuellement, nous ne pouvons que constater combien la santé des travailleur·euses passe après les résultats économiques comme s’il y avait une fatalité, voire une résignation devant des valeurs qui seraient supérieures à un travail humanisé qui préserve la bonne santé de chacun.

C’est pourquoi il est plus que temps de converger ensemble afin d’établir le rapport de force nécessaire.

Exigeons que cette crise aboutisse à augmenter la conscience de l’intérêt prioritaire et primordial que doit recevoir la santé au travail dans une société moderne et à augmenter les moyens nécessaires pour la protéger.