Terre de lutte - Les droits des travailleurs en Colombie

Notre partenaire syndical colombien du pétrole USO nous a informés des intentions de leur gouvernement de privatiser des entreprises-clés, telle que la compagnie pétrolière d'État Ecopetrol et un certain nombre de filiales (voir article du 27 juillet dernier).

Face à cette menace, notre partenaire syndical lancé une vaste campagne contre ces intentions de privatisation. La FGTB Pétrole soutient cette campagne et a envoyé une lettre au président colombien afin de renforcer le message de nos camarades.

En matière de syndicalisme, la Colombie demeure aussi l’un des pays les plus dangereux selon la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Dans ce contexte, vous trouverez ci-dessous un article sur les circonstances extrêmement difficiles dans lesquelles les militants syndicaux défendent les droits de tous les travailleurs. Voir aussi le documentaire ‘Tierra de Lucha’.

Les droits des travailleurs en Colombie

Quand vous pensez à la Colombie, vous pensez à une nature à perte de vue, aux plages paradisiaques, aux saveurs et à la musique, mais la réalité est loin d’être idyllique... La Colombie a vécu un conflit interne qui a duré plus de 50 ans. Un conflit qui a ravagé le pays et dont les principales victimes sont les citoyens. Des milliers de personnes assassinées, des dizaines de milliers de disparus, des millions de déplacés…

En 2016, le gouvernement de Juan Manuel Santos a signé un accord de paix avec les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), principale guérilla du pays. Quatre ans plus tard, le bilan est amer. Bien que certaines avancées aient été faites au début, comme le désarmement des anciens combattants et la mise en œuvre de la première phase de l’éradication des cultures illicites, elles ont été freinées assez vite. D’autres aspects sont restés lettre morte : la réincorporation des anciens guérilleros, la réforme rurale intégrale pour aider les paysans à réinvestir la campagne colombienne et la protection des défenseurs des droits sociaux. Selon Indepaz (Institut d’Etudes pour le Développement et la Paix) de janvier 2016 à mai 2019, 837[1] défenseurs des droits humains, dont des syndicalistes et ex combattants, ont été assassinés… Et la situation a empiré ces derniers mois. Le nombre de personnes assassinées augmente sans cesse ; ce sont notamment des jeunes et des manifestants qui sont en ligne de mire. La persécution du mouvement social s’intensifie. La réponse à cette tyrannie : la convergence des luttes. Plusieurs secteurs du mouvement social se sont unis : la CUT, centrale ouvrière, s’est par exemple jointe au mouvement paysan, indigène et étudiant.

En Colombie, les travailleurs connaissent des conditions de travail particulièrement précaires. Le taux de chômage ainsi que le travail informel sont au plus haut. Les inégalités femmes-hommes, notamment salariales et face à l’accès et au maintien à l’emploi, sont flagrantes. La situation des jeunes est inquiétante : l’accès à un emploi décent est très compliqué et le système de pension est sur le point de s’effondrer. Avec la crise du Covid-19, les conditions de travail n’ont évidemment fait que se dégrader. A titre d’exemple, l'entreprise nationale d'AB InBev a annoncé en avril arrêter certaines lignes de production ; une vague de licenciements a suivi, malgré les accords qui existaient avec USTIAM, le syndicat présent dans l’entreprise. L’Etat colombien a protégé les entreprises, au détriment des travailleurs et du dialogue social.

Malgré les conditions de travail compliquées, le taux de syndicalisation s’élève à peine à 4,6% de la population active. La répression syndicale compte parmi les plus brutales dans le monde. Selon l’Ecole Nationale Syndicale, entre 1971 et 2018, on a pu recenser 3.240 syndicalistes assassiné∙e∙s en Colombie. Un climat hostile qui restreint le dialogue social, y compris au sein d’entreprises européennes ou belges. A titre d’exemple, les membres dirigeants et les affiliés de Sinaltrainal, le Syndicat National des Travailleurs de l’Agroalimentaire qui regroupe notamment des travailleurs de Nestlé et de Coca-Cola, sont victimes de menaces, de tentatives de meurtres, d’homicides et de déplacements forcés de manière récurrente. "Être syndicaliste en Colombie, c'est avoir un pied dans la tombe.", nous confie Luis Giovanni Castañeda, Président du syndicat Sintraimagra.  À ceci, Tangui Cornu, Co-Président de la FGTB Horval répond : « Parce que les syndicats sont forts en Belgique et en Europe, on doit faire  pression sur les entreprises belges ou européennes pour qu’elles aient des comportements qui soient aussi éthiques en Colombie qu’ ici… ! »

En effet, pour soutenir les travailleurs colombiens, la FGTB Horval et la Centrale Générale mènent des partenariats avec des syndicats locaux avec le soutien de deux ONG belges, Solsoc et FOS et de l’IFSI, l’Institut de coopération syndicale internationale de la FGTB. Bien que les secteurs d’activités soient très différents, ils peuvent aller des coupeurs de canne à sucre de Cali (voir photo) aux travailleuses domestiques à Medellin, en passant par les travailleurs du secteur pétrolier à Cartagena, les partenariats ont le même objectif : un soutien technique et politique aux camarades colombiens et la mise en œuvre de projets qui améliorent réellement les conditions des travailleurs.

En 2019, année centenaire de l’OIT, l’IFSI, FOS et Solsoc ont réalisé le documentaire « Tierra de Lucha » (Terre de lutte) sur la lutte des travailleurs en Colombie. Voici quelques témoignages de nos camarades.

 «  Tu prépares des pâtes délicieuses pour la famille, mais tu ne peux pas en manger avec eux. Tu dois préparer un riz avec des œufs, que tu vas manger dans une assiette en plastique, sur le côté », explique Luz Dary, jeune syndicaliste et travailleuse domestique à Medellin. Elles étaient une vingtaine de femmes à participer à la dernière réunion syndicale de l’année. Plusieurs de ces femmes sont des mères célibataires. Elles travaillent pour nourrir leurs enfants, malgré les risques que comporte ce métier, notamment pour leur santé. Il leur est donc souvent difficile de réagir à ce genre de commentaires, par peur de perdre leur travail. Vu les nombreuses heures passées dans des environnements isolés, les cas de harcèlement et de violences ne sont également pas rares. Grâce aux formations de Sintraimagra, partenaire de la Centrale Générale-FGTB d’Anvers, les travailleuses ont pris connaissance de leurs droits et arrivent désormais à se défendre. «  Nous avons ouvert les yeux et nous nous sentons plus fortes ! ».

Des centaines de kilomètres plus loin, à la Vallée du Cauca, José, coupeur de canne à sucre, part avec ses collègues à 6h du matin vers les plantations pour entamer sa lourde journée de travail. Les travailleurs ne savent jamais quand ils rentreront et sont payés en fonction du travail effectué. Leur journée n’est terminée que lorsque toutes les cannes du champ qui leur a été assigné sont coupées. Ils coupent la canne avec leurs machettes, dans la chaleur, sous le soleil pour un salaire de misère et sans aucune protection sociale. « Ce travail est très pénible. Le patron tire profit de notre force et notre seule récompense est l’extrême fatigue et la maladie. Plus d’un camarade a perdu la vie en travaillant » explique José, syndiqué auprès de Sintracatorce, partenaire de la FGTB Horval. En 2008, les travailleurs ont entamé une grève générale de 56 jours. Ils ont obtenu la régulation des horaires,  des journées de travail et des repos, mais dans le secteur les contrats de sous-traitance restent la norme et la protection sociale des travailleurs est assurée par des entités privées. Dans ce contexte, le travail syndical mené par les partenaires des Centrales de la FGTB est primordial.

« Tellement de parcours différents, mais un seul combat : la lutte pour de meilleures conditions de travail, une vie digne, malgré la répression de l’état et celle du patronat. » explique Werner Van Heetvelde, Président de la Centrale Générale de la FGTB. Dans le monde dans lequel nous vivons, où la mondialisation est une réalité incontestable, la convergence des luttes est la clé : ensemble contre le patronat et les tendances libérales, ensemble, pour de meilleures conditions de travail ici et ailleurs !