Journée mondiales de la santé et sécurité au travail 2024
Le 28 avril marque la Journée de commémoration des travailleuses et des travailleurs morts ou blessés au travail, célébrée à l’échelle internationale depuis 1996 à l’initiative du mouvement syndical. Le but de cette journée est de rendre hommage aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles en organisant des mobilisations et des campagnes de sensibilisation aux quatre coins de la planète.
Cette année, notre centrale profite de cette journée pour lancer un appel : "Pour la surveillance de santé pour tous les travailleurs!"
Pourquoi la surveillance de la santé pour tous les travailleurs?
L’impact du travail sur la santé connait un Momentum ces quelques dernières années, deux observations en sont la preuve :
- On n’a jamais eu autant de travailleurs en invalidité (+ de 500.000) c’est-à-dire en incapacité de travail depuis plus d’un an. Et on sait que plus de la moitié d’entre eux le sont à cause du travail.
- On n’a jamais eu autant de demandes de reconnaissance en maladie professionnelle.
Face à cette crise, il y a 2 réactions principales qui vont probablement empirer la situation :
- On n’a jamais eu si peu de médecins du travail et ça va s’empirer ! C’est d’autant plus dommageable que le secteur est particulièrement bien placé pour agir sur les causes en amont et mettre en place de la prévention.
- La chasse aux malades de longue durée dont le volume s’est intensifié, les C4 pour cas de force majeure médicale sont toujours aussi nombreux et la menace de sanctions pour les malades pèse en plus. Le réel problème est que cette politique ne met pas le focus sur la prévention et sur ce qui cause la maladie.
Comment la surveillance de la santé des travailleurs est-elle menacée aujourd’hui ?
Le secteur de la médecine du travail connait une pénurie importante et celle-ci va probablement s’intensifiée au moins jusqu’en 2040 selon Co-prev (qui chapeaute les services externes).
La force de frappe belge en matière de couverture par la médecine du travail était déjà en soi problématique avant cette pénurie. En 2014 déjà, ETUI dénonçait le faible nombre de médecins du travail par travailleurs
La réaction législative à la pénurie des dernières décennies
Le Conseil supérieur pour la prévention et la protection au travail (= CSPPT) a été chargé par le ministre du Travail - Kris Peeters CD&V - en 2018 de formuler un avis sur le projet d'arrêté royal modifiant le Code du bien-être au travail en ce qui concerne la surveillance périodique de la santé.
Après consultation des Services externes de prévention et de protection au travail, il s'est avéré que ceux-ci n'étaient pas en mesure de remplir toutes les obligations légales en matière de surveillance périodique de la santé en raison d'une pénurie de conseillers en prévention-médecins du travail.
Les chiffres de Co-Prev pour l'année 2017 ont montré qu'environ 1,5 million de travailleurs étaient tenus de se soumettre à une évaluation de santé périodique annuelle (examens médicaux + examens ciblés). Environ 82 % de ces travailleurs ont effectivement été examinés.
Le CSPPT était à ce moment-là d'avis que la réforme de la surveillance de la santé constituait une première étape nécessaire à la poursuite de la modernisation du bien-être au travail grâce à un recours optimal aux conseillers en prévention-médecins du travail. En outre, le CPMT doit pouvoir déterminer à tout moment qu’il faut augmenter la fréquence de la surveillance de la santé. Ce passage a été explicitement souligné par le Conseil supérieur de la prévention au travail.
L'importance de la possibilité de consulter spontanément un conseiller en prévention-médecin du travail a également été mise en exergue par le CSPPT.
Avec quelques années de recul maintenant on peut déjà faire certaines observations :
- Suppression de certains postes à risque : Le nombre de poste soumis à la surveillance de santé annuelle à fortement baissé. Certains risques sont sortis des radars comme ceux des travailleurs en contact avec les denrées alimentaires oud es travailleurs de bureau ne sont plus aujourd’hui soumis à la surveillance médicale.
- Modification de la fréquence des examens médicaux : Ceux qui ont vu la surveillance maintenue se voient de moins en moins confrontés aux médecins du travail, ils voient maintenant alternativement un médecin du travail ou un infirmier en santé au travail. Plus loin encore, un projet pilote de PI (secteur intérim) proposait qu’ils soient simplement vu par un questionnaire papier à l’avenir. De manière générale le nombre de travailleurs soumis à la visite annuelle a fortement baissé jusqu’à 80% dans certains services externes.
- Affectation du temps des médecins du travail à d’autres tâches : Le temps d’occupation des médecins est exploité avec de moins en moins de préoccupation pour la prévention, on le voit clairement avec les examens dans le cadre de la réintégration et la constatation d’inaptitude définitive. Les consultations spontanées, les visites de reprise ou de pré-reprise si elles ne sont causées par une maladie du travail touche davantage à l’objectivation de l’aptitude individuelle que de la prévention au niveau collectif.
- Diminution de la participation du médecin du travail aux autres tâches de prévention : Les chiffres des services externes nous indiquent que la médecin du travail participe de moins en moins aux visites des lieux de travail (sauf pour la première visite chez un nouveau client). La participation aux CPPT devient de plus en en plus rare.
En plus de ce bilan négatif, nous savons également qu’un important débat sera mené sur la surveillance de santé dans les mois à venir au niveau du Conseil Supérieur pour la Prévention et la Protection au Travail, il va probablement aller dans le sens d’une nouvelle diminution de la qualité de service avec la contrainte du nombre de médecins du travail toujours plus bas.
La surveillance de santé théorie et pratique
A l’intérieur du cadre légal actuel, des secteurs comme les titres-services qui en ont grandement besoin, ont des employeurs qui rechignent à reconnaitre le droit de leurs travailleurs à être surveiller périodiquement parce que cela leur coute trop cher. C’est d’autant plus injuste que dans ce secteur, le travail envoi significativement plus en invalidité.
Cette subjectivité et cette interprétation possible sur qui devrait être soumis à la surveillance pose vraiment problème. (C’était également l’observation de l’inspection du contrôle du bien-être dans le secteur des titres services en 2022).
Faire de la prévention en constatant des inaptitudes définitives
Ce détricotage va encore plus loin puisque depuis peu, les heures de travail des médecins du travail sont de plus en plus sollicitées dans le cadre des procédures de réintégration des malades de longue durée.
Dans un premier temps, la réintégration des travailleurs malades dans sa version Deblock rendait systématique l’activation des malades après une certaine durée d’incapacité et confiait un rôle important au médecin du travail. Les récentes évolutions législatives intensifient cette démarche et confie toujours plus de travail de ce type aux médecins du travail
Le paradoxe est saisissant, dans le secteur de titre service par exemple, les unités de prévention sont utilisées pour mettre des C4 pour cas de force majeure médicale. Les unités de prévention est le reflet du montant minimal qu’un employeur doit investir dans la prévention et le bien-être de ces travailleurs.
Finalement, nous avons donc de moins en moins de médecins du travail et leurs tâches sont de plus en plus orientées vers l’évaluation de l’aptitude du travailleur à son poste de travail plutôt qu’à la prévention au niveau collectif. En comparant des données des services externes sur l’espace des 6 dernières années on peut dire que les services externes voient en moyenne 2X moins de travailleurs dans le cadre de la surveillance de médicale périodique.
La participation au CPPT et les visites de lieux de travail, par définition collectives et de type préventives, sont de moins en moins réalisées par des médecins du travail quand elles le sont.
Notre idée est de revenir avec une position forte et ambitieuse de surveillance de santé pour tout le monde et de qualité !
Nous défendons la position qu’il n’y a plus de travailleurs à l’abri des risques du travail. Les législations des autres pays européens vont souvent dans ce sens et la Belgique est un des rares pays à faire exception en n’assurant pas une surveillance à tous ses travailleurs (ref/ Colosio, 2017, 6). De plus aujourd’hui pour nous la distinction entre professions/poste à risque et non à risque du Code sur le bien-être est devenue obsolète.
Une surveillance de la santé comme pilier essentiel de la politique de bien-être au travail. La surveillance de santé à côté de l’analyse des risques sont les deux composantes essentielles de la prévention au travail, c’est pourquoi nous voulons un accès à la surveillance de la santé pour tous et une surveillance de qualité. C’est cohérent avec nos dernières prises de position dans le domaine au niveau des secteurs :
- La lutte pour la surveillance de santé pour les titres-services - là où elle n’existe pas aujourd’hui
- Le refus des projets pilotes visant à remplacer une consultation par un questionnaire dans l’intérim
- Et la victoire de l’obtention de la surveillance de santé prolongée pour les travailleurs de la chimie et pétrole
Un autre point à défendre est que les différentes interventions des médecins du travail qui ne visent pas directement des mesures préventives et collectives sortent du cadre de la prestation du forfait ou des “unités de prévention” pour être facturée appart par les services externes.
Notre campagne
Nous voulons peser sur le débat politique qui va avoir lieu en nous positionnant pour un renforcement de la surveillance de santé quand le risque est qu’on détricote encore ce droit. Nous devons faire le constat que la surveillance de santé s’éloigne de plus en plus de son objectif de prévention comme l’a imaginé le code du bien-être au travail à la base. Selon le code, la surveillance ne se résume certainement pas à une consultation superficielle avec le travailleur mais doit nourrir les réflexions du CPPT et aboutir à des mesures de prévention adéquates.
Nous voulons donc, à contrario des propositions sur la table, une surveillance médicale pour tous et aussi de qualité. Dans ce sens, on défend notre position historique dans le combat pour la santé des travailleurs.
N’oublions pas que la surveillance de santé concerne particulièrement notre centrale et ce pour au moins deux raisons :
- l’exposition au risque est le plus fréquents dans nos secteurs (risque chimique et ergonomique)
- nos secteurs de services sont souvent moins à même d’être analyser sur les lieux de travail c’est pourquoi un suivi est absolument nécessaire (Titres-services mais aussi nettoyage industriel).
Afin de défendre cette position nous voulons sensibiliser sur la question à l’aide d’une campagne de communication autour de la date du 28 avril (communiqué de presse, vidéos de sensibilisation sur les réseaux et publication du rapport).
En plus de la pédagogie, nous prévoyons une démarche sous forme d’outils pour que les délégués CPPT s’approprient l’outil de la surveillance médicale et ce en particulier pour les nouveaux délégués élus.