Covid et chimie – L’heure du bilan

« Nous sommes en 2020 après Jésus-Christ. Tous les secteurs sont arrêtés par le covid. Tous ? Non ! Un secteur peuplé d’irréductibles travailleurs résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la rentabilité est assurée pour les employeurs de la chimie de base, de l’industrie pharmaceutique, de la plasturgie et du caoutchouc… »

René Goscinny et Albert Uderzo ne nous en auraient pas voulu d’avoir librement repris leur introduction des aventures d’irréductibles Gaulois. De part et d’autre, n’y a-t-il pas des héros qui affrontent des risques et qui osent s’opposer ? De même, la potion magique des uns n’est-elle pas semblable à la solidarité des autres ? Au-delà des ressemblances, nous nous posons la question suivante afin de mesurer économiquement la résilience des travailleurs : quel a été l’impact du covid sur la rentabilité des entreprises de la chimie ? En d’autres termes, la crise sanitaire a-t-elle généré une crise économique dans ce secteur ?

Afin d’y répondre, nous nous sommes basés sur des indicateurs socioéconomiques issus des comptes annuels des entreprises actives en Belgique dans l’industrie chimique. A l’aide du logiciel d’analyse AFIN-A, nous avons récolté des données économiques et sociales propres au secteur pour la période 2018-2021.

Création de richesse et rentabilité

L’apport de la chimie dans la création de richesse est indéniable : les diverses activités de production et de recherche des travailleurs permettent la transformation de matières premières en produits finis. Ces derniers disposent de spécificités que les matières premières prises isolément ou à leur état d’origine n’atteignent pas. Afin de quantifier cette création de richesse, les économistes recourent à l’indicateur « valeur ajoutée brute ». Son évolution est détaillée ci-dessous pour les entreprises relevant des commissions paritaires 116 (compétente pour les ouvriers de la chimie) et 207 (compétente pour les employés de la chimie).

Valeur ajoutée brute

 

2018

2019

2020

2021

CP 116

       18 354 467 734 €

       21 118 830 870 €

       21 217 312 481 €

       22 436 927 082 €

CP 207

       22 215 627 418 €

       25 250 051 202 €

       24 915 052 697 €

       26 885 356 643 €

Source : AFIN-A.

Entre 2018 et 2021, la valeur ajoutée brute des entreprises du secteur a augmenté de plus de 20%, tant du côté des ouvriers que du côté des employés. Sur la même période, en a-t-il été de même de la productivité ? Cet indicateur nous fournira la valeur ajoutée créée en moyenne par un travailleur du secteur.

Productivité

 

2018

2019

2020

2021

CP 116

                    216 969 €

                    247 559 €

                    247 146 €

                    265 945 €

CP 207

                    217 667 €

                    246 101 €

                    241 247 €

                    263 831 €

Source : AFIN-A.

Alors que la productivité d’un ouvrier et d’un employé avoisinait les 217.000 € en 2018, celle-ci oscille autour de 265.000 € en 2021, soit une progression moyenne de 22% tout statut confondu.

Parmi les indicateurs de rentabilité communément utilisés, nous trouvons l’EBIDTA (Earnings Before Interest, Taxes and Amortization) : il s’agit du résultat (bénéfice ou perte) généré par l’activité principale avant prise en compte des activités strictement financières, de la fiscalité et des amortissements comptables.

EBIDTA

 

2018

2019

2020

2021

CP 116

       10 478 790 963 €

       12 867 906 527 €

       12 748 910 727 €

       14 364 273 661 €

CP 207

       12 010 967 776 €

       14 556 186 542 €

       13 965 024 149 €

       16 126 495 094 €

Source : AFIN-A.

Cet indicateur économique est aussi en nette progression entre 2018 et 2021 : 37,08% en commission paritaire 116 et 34,26% en commission paritaire 207. De même que pour les autres ratios, les stagnations relevées en 2020 ont largement été compensées par des hausses significatives en 2021.

Qui en profite ? Actionnaires ou travailleurs ?

Cette création de richesses et cette rentabilité en hausse, ont-elles permis aux actionnaires d’augmenter leurs dividendes ? A ce propos, le graphique ci-dessous nous renseigne sur l’évolution des dividendes et du taux de distribution (rapport entre dividendes et bénéfice d’exercice) en commission paritaire 207.

 

Grafiek 1

Source : AFIN-A.

Les dividendes sont en nette progression entre 2020 et 2021 : majoration de 103% en commission paritaire 116 et de 87% en commission paritaire 207. Ces mêmes dividendes représentent 90% des bénéfices dans la première commission paritaire et 95% dans la seconde. En d’autres termes, la majeure partie des bénéfices générés par les activités des entreprises de la chimie ont été distribués aux actionnaires.

Qu’en est-il des travailleurs ? Ont-ils également bénéficié de ces profits croissants ?

Grafiek 2

Source : AFIN-A.

Alors que la part de la valeur ajoutée revenant aux travailleurs était de 42% pour les ouvriers et de 44% pour les employés en 2018, cette part s’est réduite à 37% pour les premiers et à 39% pour les seconds en 2021. En d’autres termes, les fruits de richesses profitent moins que par le passé aux travailleurs.

Il en est de même en matière de part de la masse salariale dans le chiffre d’affaires.

Grafiek 3

Source : AFIN-A.

En 2021, à peine 7% du chiffre d’affaires revient aux salariés des entreprises du secteur, contre 11% quatre années plus tôt.

Contrairement à l’augmentation de la productivité constatée plus haut, les travailleurs voient leur part de salaire dans le chiffre d’affaires et dans la valeur ajoutée du secteur diminuer.

« Oui mais en 2022… »

Si les années 2020 et 2021 nous auront plongés dans la crise sanitaire du covid, l’année 2022 est celle de l’invasion russe en Ukraine et de son impact sur les prix de l’énergie. De même que pour le covid, posons-nous la question de l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie sur les entreprises de la chimie. Pour pouvoir y répondre, nous ne pouvons pas nous baser sur les comptes annuels 2022 des entreprises car ceux-ci ne sont pas encore disponibles. Cependant, le Baromètre socio-économique de la FGTB reprend les données disponibles en matière de marge bénéficiaire et relève déjà qu’ « au cours du premier semestre de cette année (ndlr : 2022), les bénéfices des entreprises belges ont atteint un niveau record : en 1999, les marges bénéficiaires étaient encore de 35% ; au deuxième trimestre de 2022, elles sont passées à plus de 45% ».


Grafiek 4

Alors, rentable ou pas ?

Force est de constater que les dernières années ont été synonymes de rentabilité pour la chimie : tant la valeur ajoutée que l’EBIDTA ont significativement augmenté. Nos recherches pointent aussi que cette rentabilité profite principalement aux actionnaires et non aux travailleurs : le taux de distribution des bénéfices dépasse les 90% au profit des premiers, alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée et dans le chiffre d’affaires dégringole pour les seconds.

Pour 2022, l’évolution de la marge bénéficiaire demeure positive. Il sera toutefois intéressant de prolonger l’analyse en détaillant l’évolution des marges, en tenant compte d’autres paramètres économiques et des bénéfices générés lors des années précédentes.

 

Source : D'autres Repères (typepad.com)