Confrontée à un rachat d’entreprise, la délégation de Prayon a pris les devants

Courant 2022, l’entreprise chimique liégeoise Prayon a racheté l’entreprise suisse Febex, qui n’est autre que le leader mondial de l’acide électronique. Ce rachat a ainsi permis au géant de l’acide phosphorique de se renforcer dans un domaine qui lui faisait défaut jusqu’alors. Mais un tel rachat ne doit pas être pris à la légère car l’impact pour les travailleurs peut être conséquent. Ali, délégué FGTB Chimie chez Prayon, a très vite pris ses renseignements avec toute l’équipe FGTB quand il a eu vent de cette opération. Il retrace les réflexes syndicaux qu’ils ont alors adoptés avec ses camarades et son « comité d’alerte ».

Le rachat d’une entreprise n’est pas à prendre à la légère. Comment a réagi la délégation syndicale  de Prayon lors de cette annonce ?

Ali : Nous nous sommes d’abord questionnés sur la nature de l’achat de Febex. Était-ce une vente ou un rachat ? Était-elle propice ou pas pour les travailleurs ? Quel impact pour nos conquis ? Grâce au réseau, au comité d’alerte, que nous avons mis en place au sein de Prayon, nous étions informés de ce rachat bien avant son officialisation par la direction. Nous avons ainsi pu collecter une série d’informations sur cette opération en toute discrétion, bien avant les premières discussions. Nous avons également contacté des membres des équipes suisses pour connaître leur position, déterminer les risques, les intérêts et les apports pour le futur. Nous étions donc bien informés et préparés lors de l’officilalisation de cet achat par la direction.

Vous avez donc surpris la direction lorsqu’ils vous ont annoncé ce rachat ?

Oui, c’était plutôt grisant de leur annoncer que nous étions déjà informés à bien des niveaux, la direction était surprise. Nous leur avons même posé des questions qu’ils ne s’étaient pas posées eux-mêmes. Et ça nous a également permis d’éviter de nous faire endormir. Le permanent syndical joue également un grand rôle dans une telle situation. La régionale de Liège, nous a accompagnés dans l’analyse que nous avons menée. D’un point de vue syndical, on a toujours tendance à subir les choses mais nous pouvons aussi être des visionnaires et être proactifs. Ça permet d’être en position de force et de donner plus de voix aux travailleurs.

Comment se passe une telle annonce auprès des travailleurs ?

Les travailleurs de Prayon étaient super contents. Investir en Suisse, racheter un leader mondial, ça fait bonne figure. Mais nous avons dû freiner leurs ardeurs et les mettre en garde. En tant que délégation, nous avons dû nous assurer que l’emploi et les intérêts des travailleurs soient pris en compte. On a mis la direction en garde, en exerçant pleinement le contrôle syndical.

Quels étaient les risques pour les travailleurs de Prayon avec ce rachat ? 

Comme Febex est le leader mondial dans le domaine de l’acide électronique, nous avions des craintes concernant le déplacement de certains processus de notre entreprise vers la Suisse et dès lors des risques pour les 900 emplois de Liège. D’autre part, nous voulions être sûrs que Febex soit en bonne santé. L’analyse de leur chiffre d’affaires et leur progression de 12% chaque année nous a rassurés. De plus, Prayon ne s’est pas endetté via ce rachat car il a utilisé les profits importants générés ces dernières années pour réaliser l’opération. Mais notre inquiétude s’est aussi portée sur les travailleurs suisses et français. On voulait s’assurer que, tout comme pour les travailleurs belges, ils ne perdraient rien en matière de conditions de travail, et qu’il n’y ait pas de licenciements. 

Autre source d’inquiétude pour votre délégation, le fait que la Suisse ne soit pas soumise à la réglementation européenne en matière de pollution et notamment en ce qui concerne le rejet de CO et les normes ISO ou (accord de branche). Un tel rachat pourrait ainsi leur permettre de polluer davantage et bypasser certaines règles européennes.

Oui, les règles européennes ne sont pas d’application en Suisse. Alors qu’en Europe, c’est un aspect extrêmement important, ils pourraient se permettre de polluer énormément sur le sol helvétique et dès lors ouvrir d’autres portes pour la direction. On les a donc interpellés sur les risques en matière de pollution. Ils voulaient sans doute rester dans le flou à ce sujet mais notre interpellation a permis de recevoir un descriptif plus détaillé de ces aspects et d’obtenir des garanties.

Dans une telle situation, le comité d’entreprise européen a aussi une grande importance ?

C’est une des forces de Prayon. Il existe une grande solidarité entre les usines des différents pays. En tant que délégué, tu ne peux pas avoir un œil sur tout. Le réseautage est essentiel et il est donc important d’entretenir de bonnes relations avec les camarades des différents pays. Prayon est une multinationale active en France, au Maroc, en Belgique, aux USA… Ensemble, nous faisons preuve de vigilance. Pour moi, disposer de ce que j’appelle un comité d’alerte est indispensable dans toute entreprise. On a pu prouver toute son efficacité avec le dossier de Febex. Ensemble, on est plus forts.