BASF émet encore des millions de tonnes de CO2.

Dans le cadre du projet européen « Mon entreprise, prête pour l’avenir » , Reset Vlaanderen a eu une entrevue avec les délégués syndicaux de BASF Anvers, Jan Vlegels et Sofie Caluwé. Ce projet vise à motiver les militants syndicaux à se concerter avec leur employeur concernant l’impact de la transition climatique sur leur entreprise. Comment ont-ils vécu les ateliers et les sessions de coaching ? Et de quelle façon s’engagent-ils en tant que militants syndicaux pour la durabilité au sein de leur entreprise ?
Que fait votre entreprise actuellement pour le climat ?
Sofie : BASF Anvers est une entreprise chimique. A l’époque, nous produisions encore quelques produits finis, mais aujourd’hui, nous fabriquons principalement des produits de base chimiques qui sont ensuite traités dans d’autres entreprises. Afin de réduire les émissions, l’entreprise envisage l’électrification de la production. En outre, BASF examine depuis quelque temps les possibilités qu’offrent l’hydrogène et le Carbon Capture Storage (CCS, ou captage et stockage du carbone). L’entreprise veut stocker ou réutiliser des produits résiduels, tels que le CO2, pour qu’ils ne polluent pas l’environnement. Mais les mesures climatiques n’avancent pas aussi rapidement que nous le souhaiterions. Les projets d’électrification sont retardés. Pas arrêtés, mais retardés. En partie parce qu’ils s’avèrent techniquement plus compliqués que prévu.
Il y a également un motif économique pour passer à l’électrification. Le prix de l’électricité – souvent autogénérée – est, après tout, plus stable que celui du gaz, qui est de plus en plus cher. Notre entreprise aura toujours besoin de gaz comme matière première, mais nous pouvons utiliser des sources d’énergie alternatives pour les autres processus. Maintenant que les projets sont reportés, nous tentons de comprendre pourquoi. En tout cas, les budgets nécessaires sont disponibles. Nous devons veiller à ce que les projets annoncés soient mis en œuvre et que nos travailleurs profitent d’un bon accompagnement à chaque modification du processus de production.
Jan: Les discussions avec la direction sur la transition climatique ne sont pas toujours simples. Elle détermine le rythme et ne nous informe souvent que lorsqu’on le demande explicitement. On le constate par exemple avec le projet CCS : il n’y a pas encore de décision définitive parce que le budget n’est pas encore finalisé. Aussi longtemps que les émissions coûtent moins cher que le stockage, on continue à émettre. Je trouve navrant que nous émettions toujours des millions de tonnes de CO2 en 2025. Il en va d’ailleurs de même pour l’azote. Prenons par exemple le vapocraqueur de BASF qui a été construit en 1993 déjà. Il existe des catalyseurs pour réduire les émissions d’azote, mais 30 ans plus tard, ils ne sont toujours pas là. Les coûts et les marges bénéficiaires jouent à chaque fois un rôle décisif.
“Les discussions avec la direction sur la transition climatique ne sont pas toujours simples. Elle détermine le rythme et ne nous informe souvent que lorsqu’on le demande explicitement.” – Jan Vlegels
Ces dernières années, BASF a toutefois pris des initiatives importantes, notamment en co-investissant dans des parcs éoliens en mer du Nord. Ainsi, notre site fonctionne pour la majeure partie à l’électricité verte. Cependant, les jours sans vent, nous devons encore prélever de l’électricité du réseau. On investit également dans l’énergie solaire pour répondre aux besoins.
Avez-vous le sentiment que l’entreprise freine la transition ? Ou pas vraiment ?
Sofie: Nous n’avons pas ce sentiment. Lorsqu’on compare BASF et les autres entreprises qui participent au projet “Mijn Bedrijf Toekomstproof” (“Mon entreprise, prête pour l’avenir” (ndlt)), nous donnons vraiment l’exemple en ce que concerne la durabilité. Il y a par exemple une problématique énorme de concurrence. Regardons la Chine et les Etats-Unis. La Chine semble consacrer peu d’attention aux mesures climatiques, alors que les entreprises en Amérique bénéficient de subsides si elles s’engagent dans la voie durable. Ici en Europe, les entreprises profitent également de subsides, mais elles sont également sanctionnées si elles ne se conforment pas aux règles ou elles doivent payer pour leurs émissions.
La réglementation elle-même constitue également un défi. Nous sommes confrontés à une liste interminable de consignes. Au conseil d’entreprise, on nous présente régulièrement une sorte ‘d’encyclopédie’ des règles, mais lorsque nous nous adressons ensuite aux instances compétentes, elles ne savent souvent pas comment les mettre en œuvre correctement. Notre service juridique s’en occupe en permanence, mais ce n’est pas facile.
Qu’est-ce qui vous a incité à participer au projet “Mijn Bedrijf Toekomstproof”(« Mon entreprise, prête pour l’avenir ») ?
Sofie: Cela fait un an maintenant que je travaille pour le syndicat chez BASF et pour moi, il s’agissait d’une belle opportunité pour approfondir mes connaissances. La durabilité est également un thème auquel j’attache personnellement beaucoup d’importance. Je recycle, je ne mange pas de viande, … Grâce au projet, j’ai eu l’occasion de m’intéresser activement à la transition climatique et d’évoluer, non seulement sur le plan personnel mais également au niveau professionnel.
Jan: A l’époque, j’ai participé aux marches pour le climat. Nous émettons des quantités énormes de CO2 et si nous continuons sur cette lancée, la planète ne sera plus viable. Les grandes multinationales endossent une responsabilité colossale, non seulement les entreprises du secteur de l’énergie, mais aussi les entreprises chimiques telles que BASF.
Ce ne sont pas les travailleurs qui ont causé ce problème, mais le grand capital. La solution ne réside dès lors pas dans les efforts individuels des citoyens, mais dans un changement fondamental de notre mode de production. Les syndicats doivent continuer à rappeler les entreprises à leurs responsabilités.
"Ce ne sont pas les travailleurs qui ont causé le problème climatique, mais le grand capital. La solution ne réside dès lors pas dans les efforts individuels des citoyens, mais dans un changement fondamental de notre mode de production." – Jan Vlegels
Ces dernières années, je constate une modification au niveau des priorités, tant chez BASF que dans d’autres entreprises de la chimie. Les marges bénéficiaires en baisse et les problèmes économiques mettent la pression sur les ambitions en matière de durabilité. La Déclaration d’Anvers qui a été signée l’année passée, l’explique clairement : les entreprises veulent plus de marge de manœuvre et moins de règles strictes du Green Deal (Pacte Vert). Il semble que la durabilité n’est plus tellement urgente. Cela est un nouveau développement inquiétant.
Qu’avez-vous appris grâce au projet, qui vous est utile dans votre travail syndical ?
Jan: Lors des ateliers, j’ai surtout beaucoup appris sur la réglementation et la législation. Les documents que nous avons reçus sont très utiles pour mon travail syndical sur la transition climatique. Cela nous permet de mieux se préparer aux discussions avec l’employeur sur la transition climatique.
Sofie: Grâce au projet, nous disposons d’outils pour évaluer de façon plus critique comment notre empreinte écologique est mesurée. Nous sommes par exemple capables de poser de meilleures questions sur les données issues du rapport environnemental annuel. Ainsi, nous montrons à la direction que nous réfléchissons à la matière et que nous souhaitons la développer.
Qu’avez-vous réalisé concrètement dans le cadre du projet ? Quels étaient les défis ?
Jan: Nous avons tenté d’instaurer une commission de durabilité où les syndicats et l’employeur discuteraient ensemble des projets climatiques. L’idée était de se réunir au moins deux fois par an afin d’obtenir plus de transparence quant aux projets. Cette proposition a cependant été bloquée. La direction veut garder le contrôle. “Nous disposons des connaissances, nous savons ce qu’il faut faire.” Nous sommes seulement informés lorsque les décisions ont déjà été prises, souvent par le biais du conseil d’entreprise. Mais il ne s’agit bien évidemment pas d’une réelle concertation.
Sofie: En tant que syndicat, nous pouvons inscrire le climat à l’ordre du jour du conseil d’entreprise en posant des questions à chaque fois. Mais en fait, nous voulions un groupe distinct avec des gens passionnés par la matière. Car au conseil d’entreprise, il y a généralement tellement d’autres points à l’ordre du jour, le temps manque souvent pour mener des discussions sur le fond.
Est-ce que vous pensez que votre entreprise fait les bons choix pour rester pertinente à l’avenir ?
Jan: C’est plutôt limité. On a perdu énormément de temps au cours des dernières décennies pour lutter contre le réchauffement climatique. En fait, la science avait déjà adopté un consensus au début des années 1990. Mais nous avons continué à émettre au cours des 20 à 30 dernières années. L’urgence s’est donc énormément accrue. Je doute que nous puissions respecter les délais dans le contexte économique actuel.
Certes, notre entreprise fait des démarches, mais elles ne suffisent pas. Ces deux dernières années, BASF Anvers a transféré 9 milliards d’euros de bénéfices au groupe BASF, particulièrement pour explorer de nouveaux marchés en Asie. Alors que les projets écologiques sont reportés ici à Anvers. Entretemps, les catastrophes naturelles ne font que s’accroître. Sans transition climatique, les simples gens en souffriront le plus.
Y a-t-il, malgré les défis, aussi des signes d’espoir ?
Jan: Une des évolutions positives est que la nouvelle génération de jeunes travailleurs est beaucoup plus consciente des défis climatiques que l’ancienne. L’employeur le reconnaît d’ailleurs : pour attirer du talent, ils se doivent de renforcer leur image verte. Avec l’aide de la jeune génération, nous espérons pouvoir faire monter la pression.
Le problème est que nous sommes actuellement plutôt préoccupés par la crise économique. Nous faisons face à un gouvernement qui attaque nos droits acquis et à une direction qui veut économiser 150 millions d’ici 2028.
Quels sont les défis pour votre entreprise au cours des années à venir ?
Jan: Le rapport environnemental annuel démontre que le niveau des émissions de CO2 de BASF Anvers reste plutôt stable. Ces émissions – qui sont surtout le résultat des processus de production – doivent diminuer radicalement. Nos émissions indirectes (ce qu’on appelle les émissions scope 2) diminuent cependant parce que nous achetons plus d’énergie renouvelable, mais celles-ci ne sont pas prises en compte dans le rapport annuel. L’employeur considère que le projet CCS (captage et stockage du carbone) constitue une solution, même si j’ai des doutes. Un élément positif est que cette infrastructure CCS permet également le CCU à terme (captage et utilisation du carbone), de sorte que le CO2 capté puisse également être utilisé comme matière première.
Dans la chimie, nous devons mener un débat sur la façon dont nous pouvons quitter la voie des matières premières fossiles. Il existe des alternatives : l’éthylène et le propylène ne doivent pas forcément être extraits de combustibles fossiles. En Chine, on utilise le méthanol comme base. Malheureusement, à Project One à Anvers, nous constatons qu’ils tiennent au craquage, une technologie de plus de 100 ans.
Pourquoi est-il important, en tant que militant syndical, de s’impliquer dans la stratégie climatique ?
Jan: Il n’y a pas d’emplois sur une planète morte – c’est ma réponse standard. Nous devons éviter une catastrophe climatique et, en tant que syndicat, c’est notre devoir de nous en occuper.
Sofie: Si nous motivons notre employeur à faire mieux, nous sommes prêts pour l’avenir. Si on ne commence que dans 10 ans, l’entreprise se retrouvera en difficulté. En tant que syndicat, nous sommes le lien entre les milliers de travailleurs et les quelques personnes qui prennent les décisions. Beaucoup de gens pensent à court terme, mais si, en tant qu’entreprise, nous ne nous préparons pas à l’avenir, elle se retrouvera en difficulté.
Jan: Les catastrophes climatiques ont également des conséquences directes pour les entreprises situées au bord de l’Escaut. L’entreprise Total a construit un grand mur contre la hausse du niveau de mer. Nous nous sommes déjà demandé : que faire si une trombe d’eau comme en Wallonie s’abat sur la Scheldelaan où se situe notre entreprise ? Est-ce que nos entreprises sont prémunies contre ce risque ?
Ces arguments résonnent-ils auprès de vos collègues ?
Sofie: Auprès de certains, oui, auprès d’autres, non. Certains ne s’occupent que du travail, alors que d’autres nous demandent pourquoi nous ne faisons pas plus. Nous sommes toujours pris entre deux feux.
Nous nous rendons dans les usines et nous parlons aux collègues. Ils posent beaucoup de questions maintenant sur la retraite anticipée ou les voitures électriques en leasing. Beaucoup de personnes possèdent une voiture électrique, mais par forcément pour des raisons environnementales, plutôt parce que celle-ci présente un avantage fiscal. Notre mission est de bien informer les gens et de faire vivre le thème.
Jan: La clé est de sensibiliser notre arrière-ban, même si cela est difficile. Nous devons aborder des questions d’actualité. Quand INEOS a annoncé vouloir investir dans Project One, nous en avons discuté avec les travailleurs : est-ce le type d’investissement dont nous avons besoin ou est-ce que nous pouvons envisager d’autres méthodes de production ?
Il en va de même pour nos actions contre les mesures du gouvernement : beaucoup de gens pensent que nous, en tant que secteur fort avec de bonnes conditions de travail, sommes moins touchés. Mais si tout ce qui nous entoure se dégrade, notre îlot sombrera aussi. Nous devons stimuler cette prise de conscience large au moyen de discussions avec les collègues. Si les travailleurs réclament des actions climatiques, nous obtiendrons beaucoup plus de résultats.
L’interview a été réalisée par Reset Vlaanderen dans le cadre du projet européen « Mon entreprise, prête pour l’avenir » , une coopération entre syndicats et mouvements environnementaux en Flandre et aux Pays-Bas.