La silicose est-elle de retour ?
La silicose, une forme de pneumoconiose, est une affection mortelle qui risque de ‘faire son come-back’ parmi les travailleurs qui manipulent pendant des années la pierre composite. Même si à l’étranger, des dizaines de victimes qui ne soupçonnaient souvent rien ont déjà été recensées, la recherche en la matière n’en est qu’à ses premiers balbutiements.
Beaucoup considèrent la silicose comme une maladie du passé : les mineurs, les tailleurs de pierre, les travailleurs dans les fonderies, les verriers, … . Dans de nombreux secteurs (mais certainement pas partout), la prévention s’est déjà fortement améliorée, et la majorité des mines belges sont fermées depuis des années.
Mais les expériences dans la médecine du travail nous apprennent que certains ‘anciens risques’ reviennent souvent sous une autre forme, et à des endroits qu’on n’aurait jamais soupçonnés.
Qu’est-ce que la silicose?
La silicose est une forme de pneumoconiose, une affection mortelle provoquée par l’inhalation de quartz (également appelé silice cristalline ou dioxyde de silicium). La poussière de quartz inhalée engendre la formation progressive de tissus cicatrisés dans les poumons, provoquant ainsi une toux chronique et un manque de souffle. La silicose est incurable jusqu’à ce jour.
Même lorsqu’il n’y a plus d’exposition au quartz, bien souvent parce que les travailleurs sont en incapacité de travail, la dégradation des poumons atteints par la silicose peut se poursuivre parce que le quartz reste présent dans les poumons. En outre, il ne faut pas oublier que la poussière de quartz ne provoque pas uniquement la silicose, mais peut également être à l’origine du cancer du poumon (souvent de nombreuses années après l’exposition), de bronchites chroniques, de certaines maladies auto-immunes, …
D’où vient la silicose?
Le quartz se libère surtout lors du traitement mécanique (tailler, forer, polir, …) de certains matériaux ou matières premières contenant du quartz. Le plus souvent, la silicose survient après une inhalation prolongée (> 20 ans) de la poussière de quartz. Ces dernières années, des épidémies de silicose sont constatées un peu partout dans le monde chez des personnes qui travaillent la pierre artificielle (EN: ‘artificial stone’, NL: ‘composietsteen’). Ces pierres artificielles ou composites sont généralement composées d’un pourcentage élevé de quartz
(90-95%) noyé dans des résines synthétiques.
C’est principalement ces 10-15 dernières années que ces pierres artificielles semblent être utilisées pour la fabrication de plans de travail pour cuisine ou salle de bain. Elles deviennent de plus en plus populaires parce qu’elles présentent différents avantages pour les consommateurs par rapport à la pierre naturelle. Il y a quelques grandes marques de pierre artificielle qui sont fort présentes sur le marché (Caesarstone, Cosentino/Silestone, Unistone, Diresco [= belge] …), Dedoruin (BE).
Presque tous les grands fabricants de cuisines (IKEA, KVIK, Dovy Keukens etc.) ont dans leur gamme des plans de travail en pierre composite faciles à l’entretien et bon marché.
Mais cette pierre est bien plus dangereuse pour ceux qui la travaillent que le granit par exemple, car elle contient plus de quartz. Surtout lorsqu’elle est poncée à l’intérieur et qu’aucune mesure de prévention n’a été prise. Le risque que ces travailleurs développent une silicose est particulièrement grand : après un screening dans un certain nombre d’entreprises, des pneumologues australiens ont constaté que 35% des travailleurs examinés avaient la silicose !
Constat de cas à l’étranger
En Australie, plusieurs cas de silicose ont été constatés il y a peu : d’abord 1 personne, puis — après un dépistage plus approfondi par un groupe restreint de pneumologues — encore 7, et après une campagne encore plus large dans les entreprises, 53 au total ! Malheureusement, cette maladie a aussi récemment été diagnostiquée en Belgique chez les 2 seuls travailleurs d’une entreprise dans la province d’Anvers. 1 de ces 2 travailleurs n’a reçu le diagnostic de silicose qu’après 3 ans.
En 2010 déjà, les 3 premières victimes de la silicose avaient été recensées en Espagne (Oviedo). Des travailleurs qui façonnaient tous les 3 la pierre artificielle. D’autres cas ont suivi à d’autres endroits en Espagne : dans un hôpital universitaire de Cádiz, 95 travailleurs avaient aussi reçu le diagnostic de silicose. Dans toute la province d’Andalousie, 252 travailleurs ayant la silicose avaient été déclarés comme souffrant d’une maladie professionnelle, et dans 188 cas, la maladie était liée à l’usinage de la pierre composite.
En Israël et en Italie, des travailleurs avec la silicose ont également été recensés.
Une épidémie est-elle possible en Belgique?
Plusieurs pays ont déjà lancé des ‘alertes’ pour attirer l’attention sur les risques liés à l’usinage de la pierre composite : l’Australie/la Nouvelle Zélande (RACP), la France (même avant d’avoir trouvé des cas de silicose) et le Brésil.
Nous pensons être à la veille d’une ‘épidémie’, également en Belgique. Dans la majorité des cas de silicose décrits par les médecins en Espagne et en Australie, les travailleurs ont développé des symptômes après environ 10 ans. C’est précisément ces 10 dernières années que l’utilisation de la pierre artificielle a fortement augmentée, et c’est probablement pour cette raison aussi que les silicoses ne se sont déclarées que ces dernières années.
En outre, il s’agit d’un secteur dont on ne s’y attend pas immédiatement (ce ne sont en effet pas des mineurs mais généralement des cuisinistes), la conséquence étant que les travailleurs et employeurs ne sont pas conscients des risques et que la surveillance médicale des services de médecine du travail n’est pas bien adaptée.
La silicose ne serait-elle donc pas éradiquée ?
Historiquement, la silicose a toujours été connue comme une maladie des mineurs, des tailleurs de pierre, verriers, travailleurs dans les fonderies, … Dans de nombreux secteurs (mais certainement pas dans tous), des progrès ont déjà été enregistrés dans le domaine de la prévention, et c’est pour cette raison que beaucoup considèrent la silicose comme une maladie du passé (aussi et surtout parce que toutes les grandes mines en Belgique sont fermées).
L’expérience dans la médecine du travail montre toutefois que “d’anciens” risques refont souvent surface sous une autre forme, et à des endroits dont on ne s’y attendait pas.
Prévention
La prévention est un outil absolument indispensable si l’on veut éviter les maladies découlant de l’exposition au quartz.
Des mesures de prévention relativement simples peuvent diminuer le risque de manière draconienne.
La hiérarchie de ces mesures de prévention est très importante :
En premier lieu, le dégagement et la dispersion de la poussière de quartz doivent être limités. Il s’agit d’une mesure organisationnelle. C’est par exemple possible en commandant un autre matériau, des formats adaptés, ... On peut également opter pour une autre méthode de travail qui provoque un dégagement moins important de poussière (voir ci-après).
Outre ces mesures organisationnelles, des mesures collectives peuvent également être prises.
Dans le cas où il n’est pas possible d’éviter le dégagement et la dispersion de poussière de quartz :
- Il y a lieu d’utiliser de l’outillage avec un dispositif d’aspiration et/ou avec adduction d’eau. Le dispositif d’aspiration doit bien adhérer à la surface de travail
- Il doit y avoir une ventilation suffisante et l’espace de travail doit être soigneusement et régulièrement nettoyé.
Si les mesures précédentes ne donnent pas l’effet escompté, le nombre de travailleurs exposés et la durée d’exposition doivent être limités (voir également mesures organisationnelles).
En dernier lieu, si les mesures susmentionnées ne donnent pas un résultat suffisant, des équipements de protection individuelle doivent être mis à la disposition des travailleurs par l’employeur.
Portez de préférence un masque anti-poussière avec un filtre FFP3, même si un dispositif d’aspiration est en place. Vérifiez régulièrement que le filtre ne soit pas endommagé ou que la date d’expiration ne soit pas dépassée. Remplacez le filtre aussi souvent que le fournisseur le conseille. Un masque anti-poussière avec deux filtres facilite nettement la respiration.
Vérifiez que le bord en caoutchouc du masque épouse bien votre visage. Comme certaines personnes souffrent d’irritation cutanée due au contact avec le caoutchouc, il existe également des masques anti-poussière avec un bord en matière synthétique. Veillez à ce que de la poussière ne pénètre pas dans les filtres.
Soyez également attentif aux risques résiduels. La poussière de quartz reste présente après le sciage. N'enlevez de ce fait votre masque anti-poussière qu’après avoir quitté le lieu de travail.
Pour davantage d’informations, nous faisons référence à la fiche de sécurité concernant la poussière de quartz de Constructiv.
Screening actif
Il est important à savoir que dans la plupart des cas récemment découverts à l’étranger, les victimes se plaignaient des voies respiratoires, mais les médecins n’avaient jusque-là jamais pensé à la silicose. Ce n’est que lorsqu’on a commencé à activer le dépistage et à effectuer les examens ad hoc, qu’on a découvert que ces personnes souffraient de silicose. Les pneumologues et radiologues n’ont plus le réflexe de penser à la silicose comme diagnostic.
Conseils
Si vous manipulez la pierre artificielle dans votre travail et que vous avez régulièrement des problèmes de santé au niveau des voies respiratoires, il est important que vous consultiez votre médecin de famille et que vous lui expliquiez que vous travaillez avec des matériaux à risque. Vous devez également le signaler au médecin du travail lorsque vous vous rendez au contrôle médical annuel organisé par votre employeur.
Ces médecins sont les mieux placés pour vous donner des conseils et, si nécessaire, vous renvoyer à un pneumologue qui vous fera passer les examens nécessaires.
Signalez à chaque consultation que vous manipulez la pierre composite et que ce travail engendre des risques pour votre santé. Les médecins ont parfois tendance à oublier de poser des questions concernant les circonstances de travail. Ils se trompent alors malheureusement de diagnostic et proposent des traitements qui sont peu efficaces.
Entre-temps, la Centrale Générale ne s’endort pas sur ses lauriers et assume sa responsabilité en inscrivant cette problématique comme priorité à l’agenda sectoriel de la construction, en informant les niveaux politiques compétents sur le danger, et en menant des campagnes d’information spécifiques à l’intention des principaux groupes à risque.
Si vous avez encore des questions, n’hésitez pas à contacter nos collaborateurs de la cellule bien-être du service d’études de la Centrale Générale – FGTB : Hanne Sanders hanne.sanders@accg.be et Philippe Vigneron philippe.vigneron@accg.be.