Lettre ouverte à la Première Ministre

Lettre ouverte des représentants des travailleurs du secteur de la chimie concernant la crise sanitaire. 

 

Madame la Première Ministre,

En qualité de représentants des travailleurs du secteur de la chimie, et au vu des conséquences dramatiques de la crise sanitaire, nous ressentons le devoir de mettre directement à votre connaissance nos propositions et nos constats. Ceux-ci émanent des travailleurs du secteur, soucieux de partager leur vécu et leurs idées afin d’atteindre notre objectif commun de limitation de la propagation du coronavirus. Malheureusement, suites aux rejets répétés et systématiques de concertation par notre homologue patronal, la fédération essenscia, ces idées n’ont pas pu être abordées avec les représentants patronaux. Nous le regrettons car nous sommes convaincus que l’union des forces vives sera nécessaire pour sortir rapidement notre population et notre Nation de cette crise sanitaire.

Toutes les activités de la chimie ne sont pas essentielles

Le secteur de la chimie est intégralement repris dans votre liste de « secteurs cruciaux et de services essentiels » et ce, malgré sa grande hétérogénéité. En effet, le développement du secteur dans notre pays a permis de diversifier ses activités et de compter actuellement plus de 92.000 collaborateurs. Parmi les sous-branches sectorielles présentes sur notre territoire, nous retrouvons des activités éloignées de nos besoins vitaux en cette période de crise. Quel intérêt collectif tirons-nous à maintenir dans la liste la fabrication de pigments de peintures, la confection de vernis, l’élaboration de parfums, la fabrication de tableaux de bord pour l’automobile ou encore la fabrication de tuyaux en plastique pour l’égouttage des bâtiments ? 

A ce propos, la nomenclature européenne des activités économiques des entreprises (codes NACE), utilisée notamment par le Service public fédéral de l’économie, recense 58 sous-branches d’activités au sein de l’industrie chimique. A partir d’une sélection soucieuse de cibler les produits réellement essentiels à notre population, nous constatons que 34.864 travailleurs du secteur sont actifs dans des entreprises relevant de branches d’activités éloignées de nos besoins vitaux. En d’autres termes, plus d’un travailleur sur trois du secteur pourrait directement, et sans condition, bénéficier des mesures de télétravail ou de distanciation sociale. Afin de limiter la propagation du coronavirus auprès des travailleurs et de leurs proches, il apparaît urgent de prendre en compte cette capacité de distinction des activités chimiques. Vos mesures seront ainsi plus ciblées et plus efficaces.

Des masques pour le corps médical

Outre les précautions dont bénéficieront directement les travailleurs concernés, ce travail de précision permettra de libérer de nombreux masques et autres tenues de protection largement utilisés au sein des entreprises chimiques. En effet, les processus d’élaboration et de fabrication de pigments, vernis, parfums ou produits en plastique requièrent le port de nombreux moyens de protection. En cette période de crise sanitaire et de pénurie, ce matériel serait certainement plus utile auprès du corps médical. La réduction ou l’arrêt des activités non essentielles permettront de cheminer systématiquement les stocks des entreprises concernées vers les autorités publiques. Cela serait plus efficace que les dons actuels, parcellaires et, parfois, à des fins publicitaires d’entreprises. 

Réorientation des activités de production

Nous faisons écho à l’appel lancé par les professeurs De Cannière et Cadière du CHU Saint-Pierre : en fonction des besoins des autorités et des professionnels qui se trouvent en première ligne dans le combat contre le coronavirus, des productions doivent être réorientées. En d’autres termes, votre gouvernement et le Conseil national de sécurité doivent pouvoir compter sur le savoir, le savoir-faire, les marchandises et les moyens de production présents (entre autres) dans l’industrie chimique. Cela permettra à notre Nation de pourvoir à des besoins liés à la crise sanitaire, sans dépendre uniquement d’initiatives isolées d’entrepreneurs ou de directions. Notre demande d’inventaire plus précis des sous-branches d’activités de l’industrie chimique s’inscrit dans cette démarche car elle vous permettra de mieux apprécier les moyens de production et leurs présences territoriales en vue d’éventuelles réorientations.

Gérer le présent, prévoir l’avenir

Sur base de votre arrêté ministériel, les dispositions actuelles en matière de distanciation sociale et de télétravail ne sont pas obligatoires dans les entreprises de la chimie. En effet, l’article 3 stipule qu’elles doivent être mises en place « dans la mesure du possible ». Cette absence d’obligation permet des appréciations locales qui favorisent des objectifs de productivité au détriment de la santé des travailleurs. Ainsi dans une entreprise, la distance à respecter entre travailleurs était de 60 cm. Dans une autre, les règles de distanciation étaient uniquement d’application dans le réfectoire. 

Dans de telles conditions, le risque de contamination du personnel est accru et les craintes des travailleurs justifiées. Par voie de conséquence, de nombreux effectifs manquent actuellement à l’appel. Des intérimaires sont parfois appelés en renfort pour des productions non essentielles, dans des entreprises qui leur sont inconnues, et pour y respecter des règles dans un contexte de travail nouveau. 

Dans l’intérêt des travailleurs et en vue d’assurer notre capacité de production à plus long terme, il apparaît urgent que les règles de distanciation sociale deviennent obligatoires lorsque le télétravail n’est pas possible. Que ferons-nous lorsque la pandémie touchera massivement les travailleurs de la chimie ? Comment pourrons-nous assurer la production des biens réellement cruciaux à la population et à la Nation ?

Les propositions et les constats développés ci-avant sont le fruit des réactions de travailleurs de la chimie qui s’inquiètent de leur sort et qui souhaitent participer efficacement à notre combat commun contre le coronavirus.


Cordialement,


Leurs représentants syndicaux.

Andrea Della Vecchia (FGTB Chimie)

Koen De Kinder (CSC BIE)

Jean-Marc Lepied (CNE)