Quand la sous-traitance excuse tout

Après 10 ans d’attente, le tribunal correctionnel de Charleroi a rendu son jugement dans le dossier Rive Gauche. Poursuivis pour traite des êtres humains et infractions au droit pénal social, les quatre prévenus des sociétés sous-traitantes qui ont bâti le centre commercial et leurs dirigeants, ont été acquittés. Pour la Centrale Générale – FGTB et la CSC-BIE, l’heure est à la déception mais pas à la résignation.

Tout commence en juin 2015, lorsque les syndicats dénoncent les conditions de travail sur le chantier du centre commercial Rive Gauche. Des ouvriers d’entreprises italiennes sous-traitantes, avaient été recrutés en Italie, puis amenés en Belgique où ils travaillaient jusqu’à 12 heures par jour, 6 à 7 jours par semaine, pour environ 800 euros par mois, parfois sans être payés. Cela avait fait l’objet d’une plainte à l’auditorat du travail qui est restée sans suite. La situation culmine le 16 avril 2016, quand cinq ouvriers égyptiens montent en haut d’une grue pour réclamer les salaires impayés depuis 3 mois et de meilleures conditions de travail. Le chantier est alors suspendu et près de 200 travailleurs (Égyptiens, Bulgares, Kosovars) sont auditionnés. Les enquêtes révèlent des conditions de vie et de travail indignes : exploitation, salaires impayés ou très bas, logements surpeuplés, infractions sociales graves (absence de Dimona, travail les week-ends, dépassement du temps de travail sans paiement d’heures supplémentaires) et deux graves accidents du travail.

Absence de preuves directes

Malgré l’évidence des faits, le tribunal a estimé que les éléments produits n’étaient pas suffisants pour les imputer aux prévenus. La question de savoir si les ouvriers avaient bel et bien été exploités n’ayant pas été tranchée par la juridiction, le constat de l’absence de preuves directes contre les quatre accusés a conduit le tribunal à prononcer l’acquittement pur et simple.

Plusieurs points posent problème

Une fois de plus, le système bien rôdé de la sous-traitance en cascade permet aux entrepreneurs peu scrupuleux de se cacher derrière des constructions tellement diluées qu’au final, il n’est plus possible d’établir leurs responsabilités. Nous déplorons aussi l'interprétation sévère de la notion d'autorité patronale et très large de la notion de sous-traitance pour tout excuser. Dans ce cas précis, nous estimons que les éléments du dossier auraient dû suffire à considérer que les chefs italiens du consortium étaient les vrais patrons sur le chantier et ceux qui avaient organisé l'exploitation des travailleurs.

La Centrale Générale-FGTB et la CSC-BIE dénoncent aussi une forme d’hypocrisie. Comment expliquer que l’entreprise Valens-Duchène, qui reste l’entreprise qui a engagé le consortium italien, n’ait pas été renvoyée devant le Tribunal alors que le contrat commercial attestait sans équivoque que l'argent prévu pour le coût de la main-d’œuvre n'était pas suffisant pour payer les travailleurs étrangers aux normes prévues par la circulaire européenne sur le détachement ?  Et ce constat émane d’un expert pris en charge par les syndicats et figurant sur la liste des experts officiels désignés par les juridictions compétentes.

En outre, ce dossier révèle une fois de plus la lenteur et le manque de moyens humains de la justice. Il est inadmissible que le Contrôle des Lois Sociales ne compte que 4 agents spécialisés dans le dumping social pour tout le Hainaut alors que chaque agent rapporte 6 fois plus que ce qu’il ne coûte (rapport annuel du SIRS). Faute de volonté politique, les conséquences sont graves : l’enquête n’a pas été assez poussée par manque de moyens, d’une législation et de sanctions à la hauteur des infractions commises. On peut aussi déplorer le rôle trop limité de l’Autorité Européenne du Travail dans les pays qui ne jouent pas le jeu de la circulation de l’information entre services d’inspection.  

Pour les organisations syndicales, ce verdict prouve une fois de plus l’inefficacité de la législation actuelle sur la notion de la responsabilité solidaire de toute la chaîne de sous-traitance. Ce qui, en théorie, devait permettre de lutter efficacement contre le dumping social est loin d’atteindre cet objectif. Sans modification de son mécanisme d'application, cet outil restera une belle promesse sans acte.

D’autant plus que le gouvernement Arizona s’est fixé comme objectif de lutter contre ce système de fraude sociale organisée. Mais soyons clairs : sans décisions concrètes, comme c’est le cas actuellement et ce malgré la pertes de milliers d’emplois d’ouvriers et une détérioration des conditions de travail dans le secteur de la Construction, cela risque d’être une promesse en l’air, une de plus.