C'est hallucinant de subventionner massivement des rythmes de travail malsains

Nous avons eu une interview avec Jan Vlegels, délégué pour la FGTB Chimie chez BASF, au sujet du travail d'équipes et de nuit, ainsi que des subventions salariales.
Si je vous dis « travail de nuit et en équipes », pouvez-vous nous dire à quoi cela vous fait penser?
L'être humain n'est pas fait pour travailler systématiquement la nuit. Un travailleur posté qui doit travailler la nuit pendant des années et/ou qui doit se lever très tôt le matin aura inévitablement des effets négatifs sur sa santé. Les problèmes physiques et mentaux ne se manifestent pas immédiatement, mais après quelques années, on commence à ressentir les effets de ce biorythme malsain.
J'ai moi-même travaillé dans un système à feu continu pendant environ 10 ans. La plupart de mes collègues, cependant, doivent le faire beaucoup plus longtemps... Le fait de passer du tôt au tard, puis à la nuit et puis de nouveau au matin sur 48 heures, perturbe complètement votre biorythme. Il n'est pas rare d'avoir recours à des somnifères pour surmonter le passage de nuit au matin. Mais il y a toujours le risque de devenir dépendant de ces pilules.
Il est donc irresponsable de la part des responsables politiques et des employeurs de lever l'interdiction du travail de nuit. L'interdiction du travail de nuit signifie que les employeurs doivent obtenir l'accord de tous les syndicats d'un secteur ou d'une entreprise pour pouvoir introduire le travail de nuit. Les syndicats disposent ainsi d'un levier pour empêcher que les travailleurs ne soient inutilement contraints de travailler de nuit, dans le seul but de maximiser les profits. Il est clair que pour le gouvernement Arizona, la santé des travailleurs n'est pas une priorité.
Les entreprises qui ont recours au travail en équipes et au travail de nuit ont reçu une aide de 2,187 milliards € en 2023. Qu'en pensez-vous?
Il est hallucinant de subventionner massivement des rythmes de travail malsains. Nos patrons en profitent évidemment, mais d'un point de vue humain, c'est scandaleux. Chaque année, au conseil d'entreprise, dans le cadre des discussions IEF (informations économiques et financières), on nous donne le montant de « l'exonération de versement du précompte professionnel » pour le travail en équipes et le travail de nuit, entre autres. Pour BASF, il s'agit d'une subvention de 25,5 millions € en 2024.
Ces subsides salariaux auraient encore un sens quelque part s'ils avaient été utilisés pour humaniser davantage le travail en équipes. Nous avons d'ailleurs mis cette question sur la table à plusieurs reprises lors des négociations collectives. On pourrait engager des travailleurs supplémentaires ou introduire une cinquième équipe, ce qui signifierait plus de temps de récupération pour tous les travailleurs postés. BASF pourrait engager au moins 200 travailleurs supplémentaires avec cet argent. Mais pourquoi la direction s'y plierait-elle si le gouvernement lui fait un chèque sans conditions ? Jusqu'à présent, nous avons toujours eu chou blanc.
Lorsqu'ils lisent leur fiche de paie chaque mois, les collègues doivent déchanter lorsqu'ils voient le montant du précompte professionnel qu'ils doivent payer. Seulement, ils ne savent pas que l'employeur empoche jusqu'à plus de 2/3 de ce montant. C'est pourquoi nous avons déjà proposé que, pour chaque travailleur posté, le montant exact du précompte professionnel que l'employeur ne doit pas reverser à l'État soit mentionné sur la fiche de paie. Les travailleurs seraient étonnés de ces montants. Notre direction n'a pas accepté cette proposition. Certaines délégations syndicales d'autres entreprises chimiques ont réussi à l’obtenir.
Vous nous avez expliqué à quel point le travail de nuit et le travail en équipes sont difficiles et nocifs. Que pensez-vous de la réforme de la fin de carrière prévue par le gouvernement De Wever ? Est-ce tenable de travailler plus longtemps?
Est-ce possible ? L'être humain est capable de beaucoup de choses et on peut essayer de vider complètement les travailleurs, mais c'est faire reculer le progrès social. La vie ne devrait pas se résumer à travailler. L'objectif devrait être de pouvoir travailler en bonne santé et de profiter ensuite de sa retraite. Mais c'est justement ce que le gouvernement Arizona est en train de remettre en cause. La suppression du RCC, par exemple, est scandaleuse car c'était le seul moyen pour les personnes ayant un métier lourd de pouvoir arrêter de travailler un peu avant la date de leur départ à la retraite. En effet, le système de pension ordinaire ne tient pas compte du type de travail effectué. Les conditions d'accès à un emploi de fin de carrière sont également renforcées.
En conséquence, la santé des travailleurs postés continuera de se détériorer et il deviendra impossible de trouver un équilibre humain entre vie professionnelle et vie privée. Les gens devront compter sur l'assurance maladie encore plus qu'auparavant. Mais là aussi, nous constatons que les conditions d'octroi des indemnités de maladie seront encore durcies. Le chômage et ensuite l'assistance sociale se profilent à l'horizon.
Est-il important pour vous d'avoir une journée dédiée aux travailleurs postés ?
Une journée annuelle des travailleurs postés me semble nécessaire pour que nous puissions continuer à souligner les risques pour la santé, les conséquences en termes de relations familiales, ... Nous devons veiller à trouver des idées créatives pour que cette journée reste d'actualité. L'année dernière, en tant que délégation syndicale, nous avons organisé un quiz sur le lieu de travail dans le cadre de la journée 24/7 et nous avons également prévu une petite attention. Cela a été très apprécié par les collègues.