Les multinationales profitent d’un système fiscal taillé sur mesure : bénéfices records, impôts fantômes !

Source : AFIN-A (décembre 2025)

L’année 2024 s’inscrit dans un contexte paradoxal : alors que les ménages et les travailleurs belges subissent encore les effets de la crise énergétique, de la hausse des prix et de la pression sur les salaires, les plus grandes entreprises du pays continuent d’enregistrer des bénéfices historiques.

L’objectif de cette analyse est d’examiner le top 15 des entreprises belges affichant les bénéfices nets les plus élevés et d’en dégager les principaux enseignements économiques et sociaux. Celle-ci révèle un contraste frappant : des profits historiques pour plusieurs multinationales et holdings, mais une contribution fiscale souvent dérisoire, voire nulle.

Ce décalage met en évidence l’ampleur des inégalités croissantes entre la création de richesse et sa redistribution, ainsi que les conséquences directes sur l’investissement productif, l’emploi et le financement des services publics.

Le Top 15 des entreprises belges (comptes annuels déposés en 2024)
 

EntreprisesSecteurRésultat net
ELECTRABELProduction d’électricité et fourniture d’énergie (électricité & gaz) en Belgique et aux Pays-Bas.7.850.067.569€
TAMINCO GROUPFabrication et commercialisation d’amines et de leurs dérivés chimiques (matières premières pour agro-chimie, additifs, solvants, traitement de l’eau, etc.).3.141.890.307€
TAMINCO2.884.173.966€
JANSSEN PHARMACEUTICARecherche & développement ainsi que production de médicaments (division pharmaceutique du groupe Johnson & Johnson).2.633.412.401€
KBC GROEPGroupe bancaire-assureur belge : banque de détail, entreprise et assurance2.243.785.225€
GLAXOSMITHKLINE BIOLOGICALSFiliale de GlaxoSmithKline) spécialisée dans les vaccins et produits biologiques. R&D et production pharmaceutique2.193.145.418€
AVNET INTERNATIONAL HOLDINGS 2Distribution mondiale de composants électroniques, solutions technologiques et logistique de matériel électronique.2.089.137.965€
CARGLASSRéparation et remplacement de vitrages de véhicules automobiles (pare-brises, vitres latérales, etc.).2.047.428.553€
"D'IETEREN GROUP"Holding belge active dans l’automobile (importation/distribution de marques), la réparation de vitres de véhicule via Belron, et d’autres activités industrielles.1.937.768.783€
COLRUYT GROUPGroupe belge de distribution / grande surface : supermarchés, enseignes alimentaires et non-alimentaires, actions de durabilité1.732.745.326€
SOFINAHolding belge cotée, investissant dans des sociétés non seulement européennes mais aussi en Amérique et en Asie, dans des secteurs comme la consommation, la distribution, le digital, l’éducation, la santé-vie, les chaînes d’approvisionnement durables1.426.371.443€
EUROCLEAR HOLDINGSociété holding du groupe Euroclear Group, spécialisée dans les infrastructures de marché financier (règlement/livraison de titres, gestion des garanties/collatéraux, dépositaires centraux de titres) à l’échelle nationale et internationale.1.397.167.567€
NAYARIT PARTICIPATIONSSociété de gestion/holding belge (Avenue Molière 116, 1190 Forest) identifiée comme « other company » / investissement. Domaine précis peu documenté publiquement1.379.319.485€
EXXONMOBIL PETROLEUM & CHEMICALFiliale belge du groupe ExxonMobil Corporation, active dans le raffinage, la pétrochimie et la production de polymères (notamment dans la région d’Anvers1.318.701.119€
ATLAS COUNTRIES SUPPORTHolding belge ayant comme activité principale « Activités des sociétés holding1.285.727.169€

Des profits concentrés dans quelques secteurs

Les profits cumulés de ces quinze entreprises dépassent les 35 milliards d’euros en 2024. À titre de comparaison, cela représente plus de 5% du PIB belge, concentré dans moins de 0,001% des entreprises.

Trois secteurs dominent largement :

  • Pharmaceutique et santé : Ces multinationales bénéficient d’un pouvoir de marché considérable et d’incitants fiscaux généreux (rulings, brevets, intérêts notionnels).
  • Énergie et pétrochimie : Electrabel, Exxon et BASF profitent encore de la flambée des prix de l’énergie, alors même que de nombreuses familles belges peinent à payer leurs factures.
  • Finance et grande industrie : les banques et grands groupes exportateurs maintiennent des marges élevées grâce à des gains de productivité et des taux d’intérêt favorables.

Un partage de la richesse toujours plus déséquilibré

Alors que les bénéfices explosent, la part de la valeur ajoutée qui revient au travail diminue.

  • Les salaires réels restent sous pression malgré l’indexation.
  • Les politiques de modération salariale limitent les hausses de rémunérations alors que les entreprises dégagent des marges confortables.
  • Les dividendes versés atteignent des niveaux records, renforçant les inégalités de revenu et de patrimoine.

Faible retour à la collectivité

  • Plusieurs entreprises du Top 15 bénéficient d’avantages fiscaux importants ou de mécanismes d’optimisation qui réduisent leur taux d’imposition effectif bien en dessous du taux nominal (25%).
  • Dans le même temps, les investissements dans l’emploi et les conditions de travail n’augmentent pas au même rythme que les profits.
  • Cela pose la question d’une meilleure redistribution via une fiscalité plus juste, un renforcement du financement des services publics et un soutien accru aux secteurs en difficulté.

Le tableau ci-dessous présente les principales entreprises analysées ainsi que leur taux d’impôt effectif estimé sur base de leurs comptes annuels.

EntrepriseTaux d’impôt estimé
0403170701ELECTRABEL

1,11%

0891533631TAMINCO GROUP

0,02%

0859910443TAMINCO

0,43%

0403834160JANSSEN PHARMACEUTICA

5,51%

0403227515KBC GROEP

0,05%

0440872918GLAXOSMITHKLINE BIOLOGICALS

14,46%

0698761967AVNET INTERNATIONAL HOLDINGS 2

0,00%

0432023845CARGLASS

0,87%

0403448140"D'IETEREN GROUP"

0,46%

0400378485COLRUYT GROUP

1,24%

0403219397SOFINA

0,00%

0700808073EUROCLEAR HOLDING

0,00%

0427879569NAYARIT PARTICIPATIONS

0,00%

0416375270EXXONMOBIL PETROLEUM & CHEMICAL

0,07%

0568968148ATLAS COUNTRIES SUPPORT

0,01%

 

Les chiffres que nous avons analysés révèlent une réalité très préoccupante : les plus grandes entreprises du pays contribuent proportionnellement beaucoup moins que les travailleurs et les PME au financement de l’État et des services publics. Alors que l’impôt des sociétés est officiellement de 25%, les taux réels que paient ces multinationales s’échelonnent entre 0% et 1% pour la majorité d’entre elles.

Les holdings : La fiscalité zéro comme norme

Certaines des entreprises les plus riches du pays — Sofina, Euroclear Holding, Avnet International Holdings 2, Nayarit Participations, Atlas Countries Support — affichent un taux d’imposition réel compris entre : 0 % et 0,01 %.

Autrement dit : elles ne paient pratiquement pas d’impôts, malgré des bénéfices parfois gigantesques (plusieurs milliards dans le cas d’Avnet).

Pourquoi ?

Parce que le système fiscal belge accorde un avantage massif aux holdings via le régime RDT (Revenus Définitivement Taxés) : Les dividendes qu’elles reçoivent de leurs filiales sont quasi totalement exonérés. Les plus-values sur actions le sont également. Le bénéfice comptable peut être énorme, mais le bénéfice fiscal devient quasiment zéro. La Belgique fonctionne comme une plaque tournante fiscale pour les grandes familles et les multinationales.

Pendant ce temps, les travailleurs et les PME n’ont pas droit à ces mécanismes, et contribuent proportionnellement bien plus au budget.

Les multinationales industrielles : contribution symbolique

Ces entreprises réalisent pourtant des chiffres d’affaires colossaux et occupent des positions dominantes dans leurs secteurs. Comment arrivent-elles à payer si peu ?

Grâce à :

  • des déductions fiscales massives (intérêts, amortissements, provisions…) des optimisations internationales (transfert de bénéfices, facturation interne…)
  • des rulings fiscaux adaptés à leurs structures des mécanismes d’évitement fiscal parfaitement légaux mais contraires à l’équité sociale

 

Conclusion

L’analyse des comptes annuels 2024 révèle une Belgique à deux vitesses :

  • d’un côté, une poignée de multinationales engrangent des profits colossaux ;
  • de l’autre, des travailleurs et des ménages qui voient leur pouvoir d’achat s’éroder.

Ces chiffres démontrent que la richesse existe, mais qu’elle est mal répartie.

La question n’est donc pas de savoir si la Belgique peut se permettre d’augmenter les salaires, d’investir dans les services publics ou de financer la transition écologique, mais comment faire contribuer davantage ceux qui en ont les moyens. Une économie saine est celle qui met la prospérité au service du plus grand nombre — pas celle qui accumule les profits entre quelques mains. Il ne s’agit pas d’une fraude : c’est la loi, et c’est précisément le problème.   

Le système fiscal est construit pour être favorable :

  • aux grandes familles actionnaires ;
  • aux multinationales ;
  • aux structures financières complexes ;
  • aux holdings patrimoniales.

Pendant ce temps, l’impôt repose largement :

  • sur les travailleurs ;
  • sur les PME ;
  • sur les indépendants ordinaires.

Les travailleurs n’ont pas à compenser ce que les multinationales ne paient pas. Aujourd’hui, la situation est simple : ce sont les travailleurs qui financent l’État, pas les géants économiques. Et tant que la fiscalité des grandes entreprises restera entre 0 et 1%, c’est toute la cohésion sociale qui sera en danger.