Lettre ouverte au premier ministre sur l'augmentation du budget de La Défense
Le gouvernement veut augmenter le budget de la Défense à hauteur de 2 % du PIB d’ici à 2035. Plusieurs associations et collectifs, dont la Centrale Générale -FGTB, s’inquiètent de cette initiative et adressent une lettre ouverte au Premier ministre Alexander De Croo.
Cher Premier ministre,
Nous sommes inquiet.e.s. Vous vous apprêtez à vous rendre au prochain sommet de l'OTAN à Madrid (fin juin) avec la promesse de porter le budget de la défense à 2 % du PIB d'ici 2035. Si la mesure était appliquée immédiatement, cela porterait les dépenses militaires de notre pays à plus de 10 milliards d’euros par an. En 2016, le parlement avait voté une loi-programme avec des investissements en armement pour un montant de 9,2 milliards d'euros. Au début de cette année, votre gouvernement a aussi approuvé une autre enveloppe de dépenses militaires de 10 milliards et, en mars dernier, vous avez ajouté un autre milliard, réparti sur trois ans, pour couvrir les besoins opérationnels à court terme. Soit une enveloppe de 20 milliards pour 2030. Bien qu'aucun autre ministère n'ait été mieux servi, vous voulez ajouter quelques milliards de plus. Lorsque nous vous avons demandé, il y a quelque temps, combien de budget supplémentaire serait consacré à la diplomatie, à la gestion des conflits et à l'éducation à la paix, nous n'avons obtenu aucune réponse.
Nous comprenons que la pression est grande et que vous voulez être loyal envers vos partenaires de l'OTAN. Mais qu'en est-il de la loyauté envers votre peuple ? La hausse des prix érode le pouvoir d'achat, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté augmente rapidement. Votre gouvernement a, certes, pris des mesures pour réduire les prix de l'énergie, mais elles n’apportent que peu de soulagement et sont disproportionnées par rapport aux augmentations budgétaires déjà prévues pour la défense. La pandémie de Covid a laissé un trou dans le budget et la qualité des services publics, comme les transports publics, est menacée. Dans le monde entier, la hausse des prix de l'énergie et des denrées alimentaires entraîne une forte augmentation de l'extrême pauvreté, mais un demi-siècle après la promesse de consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à la coopération au développement, la Belgique reste bloquée à environ 0,4 % depuis des années. Apparemment, cette norme est moins importante que celle de l'OTAN.
La Belgique veut s'aligner sur les États membres de l'OTAN qui, depuis la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, ont annoncé conjointement des augmentations des dépenses militaires pour des dizaines de milliards d'euros. En 2021, cependant, les pays de l'OTAN représentaient déjà 53 % des dépenses militaires mondiales, soit 16 fois plus que la Russie, qui consacre proportionnellement beaucoup plus d'argent à l'armée (4,1 % du PIB) et dispose de peu de marge pour l'augmenter davantage. Si l'Allemagne seule tient ses promesses militaires, elle dépensera une fois et demie plus que la Russie.
Pourquoi tant de milliards supplémentaires ?
La question est de savoir pourquoi, avec le déséquilibre déjà important, tant de milliards supplémentaires doivent être consacrés à la défense, alors que le réchauffement climatique menace l'avenir de la planète et nécessite des investissements urgents dans la transition énergétique. Pendant des années, les pays riches n'ont pas réussi à alimenter le fonds pour le climat avec les 100 milliards de dollars promis pour rendre cette transition énergétique possible pour les pays pauvres. Nous craignons que les énormes augmentations annoncées du budget militaire se fassent au détriment des mesures sociales et climatiques qui sont nécessaires pour préserver l'avenir de la planète.
Les dépenses militaires mondiales ont augmenté pendant sept années consécutives et cela ne rend pas le monde plus sûr, bien au contraire. Assurer notre défense collective est nécessaire, certes, mais la course au surarmement ne fera qu'accroître les tensions. La guerre en Ukraine pose des problèmes de sécurité majeurs, mais l'armement n'est pas la solution. Washington déclare désormais ouvertement que l'objectif est d'affaiblir la Russie et vise une guerre prolongée qui risque d'accroître encore les souffrances humaines et le risque d'escalade (nucléaire).
Adopter une approche différente
Nous demandons à la Belgique d'adopter une approche différente. Avec d'autres pays européens, notre pays peut prendre la tête d'une initiative diplomatique visant à ramener les parties belligérantes à la table des négociations. Nous savons que c'est difficile et que la méfiance à l'égard du Kremlin est grande. Cependant, nous constatons que le front diplomatique est très calme et que toutes les pistes n'ont pas été explorées. Par exemple, les négociations bloquées entre Kiev et Moscou pourraient être prolongées de manière intensive entre Bruxelles et Moscou. L'Europe doit jouer un rôle beaucoup plus actif et prépondérant dans ce domaine et se distancier de l’approche militariste vers laquelle elle se dirige – il s’agit de volonté politique. Le rôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ne devrait-il pas aussi être renforcé ?
Coopérer et rétablir la confiance mutuelle
Lorsque les armes se tairont - bientôt, espérons-le - il faudra investir dans de meilleures relations avec les superpuissances que l'OTAN appelle aujourd'hui des "rivaux systémiques". La coopération et le rétablissement de la confiance mutuelle sont nécessaires. Comme l'a écrit l'ancien Premier ministre suédois Olof Palme au début des années 1980, à la fin de la guerre froide, "notre alternative est la sécurité partagée". Un tel système de sécurité commune est nécessaire pour éviter que les armements ne deviennent incontrôlables. À long terme, de meilleures relations mutuelles sont absolument nécessaires pour faire face conjointement aux principales menaces planétaires : les armes nucléaires, le changement climatique et les inégalités sociales grandissantes. C'est le cap que doit se fixer notre pays, la Belgique. Nous le maintiendrons avec détermination.