La bête a-t-elle mué ?

L’extrême droite soigne particulièrement son image et sa présence sur les réseaux sociaux. Ses méthodes évoluent, tentent de montrer une figure adoucie et moins virulente. La bête a-t-elle pour autant mué ? Dans sa communication, oui. Dans le fond, non. Deux auteurs issus de la FGTB, Julien Dohet et Olivier Starquit, co-signent un ouvrage sur le sujet, paru aux éditions «  Liberté j’écris ton nom », du Centre d’Action Laïque.

En de nombreux endroits du monde, l’extrême droite trouve son public. Dans une société où grandissent les inégalités et la défiance vis-à-vis des politiques traditionnelles, certaines théories font recette, et les mouvements les plus infréquentables prennent le pouvoir, ou s’en approchent. «  Avec les réseaux sociaux, le discours d’extrême droite a gagné du terrain. Loin du fantasme du ‘on ne peut plus rien dire’, la parole raciste, homophobe, sexiste… se répand sans vergogne. Dans un contexte d’augmentation des inégalités sociales et d’une prédation des richesses produites par un nombre toujours plus restreint de personnes, les succès de l’extrême droite ne sont une surprise que pour celles et ceux qui ne connaissent ni leur histoire ni ce qu’est vraiment cette tendance politique. » C’est par ces mots que débute le livre de Julien Dohet et Olivier Starquit.

Une histoire continue

L’ouvrage offre dans sa première partie un historique très documenté du mouvement d’extrême droite qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas né dans les années 1920-30, et ne s’est pas tu au lendemain de la seconde guerre mondiale, bien au contraire.

L’extrême droite se distingue par une continuité, une permanence historique, de sa naissance au lendemain de la Révolution française, à nos jours. C’est vers la fin des années ‘60, époque d’une jeune génération qui n’a pas «  connu la guerre  », que naîtra en France une « Nouvelle Droite », et des concepts cruellement modernes  : la dédiabolisation de thèmes d’extrême droite, la mise sur un pied d’égalité des différents « extrêmes »… Le racisme ethnique devient culturel, et cette nouvelle droite infiltrera peu à peu la droite traditionnelle. 

La Belgique n’est pas en reste. En 1978, la création du Vlaams Blok marque évidemment un tournant, tandis que côté francophone, des groupes se font et se défont, sans pour autant devenir significatifs. L’ouvrage décrit largement l’émergence, les succès et la débâcle de ces groupuscules.

La « nouvelle droite » 2.0

«  L’extrême droite actuelle n’est plus exactement celle d’hier. Mais si les étiquettes valsent (alt-right, populistes, nouvelle droite, droites extrêmes…) et qu’un vernis de modernité numérique recouvre les propos, les bases demeurent.  » De  forums de discussions néonazis aux pages et groupes Facebook identitaires, en passant par une « culture du troll qui consiste à poster des avis et des commentaires sur les réseaux sociaux afin de déclencher des réactions émotionnelles  », l’extrême droite s’est approprié les codes de la communication numérique. Ses  adeptes avancent groupés, partageant massivement memes et publications virales nauséabondes, et le plus souvent, masqués. Masqués derrière un « pseudo », mais également derrière un langage plus neutre qu’auparavant, qui vient brouiller les pistes. Les mots ont changé, et le discours d’un Tom Van Grieken sera nettement moins virulent que celui d’un Filip Dewinter. Toujours joliment dit par les auteurs de « La bête a-t-elle mué », il s’agit là de « propager une idéologie toujours aussi nauséabonde, même si pourvue d’un certain déodorant ».

La présence des mouvements d’extrême droite sur les réseaux sociaux est accrue, continue, et accompagnée d’investissements massifs. Présence teintée d’une volonté farouche de donner l’image la plus lisse possible. Plus rien qui dépasse  ! Des thèmes sociaux, traditionnellement de gauche, viennent même compléter le programme.

Ne pas céder de terrain

La Wallonie a pu, notamment par le maintien d’un cordon sanitaire médiatique et la présence de terrain de mouvement antifascistes, éviter que l’extrême droite ne s’implante réellement en ses terres. La gauche doit néanmoins répondre à cette déferlante de haine sur les réseaux sociaux, et ne pas laisser ces discours trompeurs gagner de terrain. Outre par une occupation du paysage médiatique dans toutes ses spécificités, c’est par l’éducation permanente, les mouvements associatifs, le lien social et bien entendu les combats syndicaux que l’on pourra endiguer les idées d’extrême droite. 

Un chantier quotidien, et permanent.

Comment se procurer l’ouvrage ? 

La bête a-t-elle mué ? Julien Dohet, Olivier Starquit - 110 pages
Disponible en versions numérique et papier (5/10 €)
www.laicite.be/publication/bete-a-t-mue