« Nous avons tout donné pour Tupperware. Maintenant, on nous jette à la rue comme des kleenex »

Tupperware, le célèbre fabricant de boîtes et autres ustensiles de cuisine en plastique, a retiré fin 2024 la licence européenne de Tupperware Aalst. Après 64 ans d’existence, le rideau est tombé définitivement le 8 janvier 2025 pour les 270 travailleurs, car pas de licence = pas de produits = pas de clients. Nous avons rencontré Jan, secrétaire de la Centrale Générale – FGTB Flandre-Orientale, et Gunther, délégué syndical avec 38 ans d’ancienneté au compteur.

Encaisser l’argent et tout envoyer valser
GuntherL'usine d'Alost a ouvert ses portes en 1961, en tant que premier site de production en dehors des États-Unis. Quand Gunther y a commencé en 1986, Tupperware Aalst était en plein essor : 25 personnes étaient embauchées chaque jour. « La Belgique était réputée pour ses produits complexes, impossibles à fabriquer ailleurs. Tout allait bien… jusqu’à ces dernières années. Les causes ? Le Covid, une forte concurrence et des articles chers (mais durables !). L’abolition de la garantie à vie a aussi été, selon moi, un coup fatal », explique Gunther.

Mais le grand coupable dans cette histoire, c’est la maison-mère Tupperware Brands aux États-Unis. Fin 2024, l’entreprise a été rachetée par ses principaux créanciers, alors qu’elle croulait sous une dette de quelque 800 millions de dollars. C’est ainsi qu’est née The New Tupperware Company. « Honnêtement », confie Jan, « ces repreneurs sont de grandes banques. Ils n’ont aucune affinité avec le produit et regardent avant tout où se trouve leur plus grand potentiel sur le marché. C’est ainsi qu’ils ont décidé d’abandonner complètement le marché européen. » « Un choix surprenant, selon Jan et Gunther, car l’Europe représentait leur meilleur marché. À Alost, l’usine était même rentable, avec peu ou pas de dettes. Mais sans licence, plus de produits, plus de clients. L’argent, en revanche, a bien coulé vers les actionnaires. “Pas moins de 29 millions d’euros ont été versés aux actionnaires américains, des gens qui n’ont que faire de notre histoire, de ce qui se passe dans un si petit pays », dénonce Gunther. “Pour eux, c’était apparemment simple : encaisser l’argent et tout envoyer valser. »

On n’a rien à se reprocher
80 à 90 % du personnel de Tupperware Aalst comptait plus de 30 ans d’ancienneté. Les indemnités de licenciement s’élèvent donc à plusieurs dizaines de milliers d’euros par personne. Maintenant que la faillite a enfin été acceptée, cela signifie cependant qu’il n’y aura probablement pas assez d’argent pour payer ces indemnités légales. Via une déclaration de créance auprès du curateur, une intervention du FFE (Fonds de Fermeture des Entreprises) est prévue, mais elle sera plafonnée à 30.500 €. « C’est totalement injuste pour les travailleurs, pour notre société ! Tupperware a gagné énormément d’argent ici et a profité de nos avantages. Les 29 millions d’euros versés aux actionnaires auraient suffi pour payer les indemnités de licenciement des travailleurs », dénonce Jan. 

« Exactement, » ajoute Gunther, « et ils ont même économisé de l’argent sur nos salaires pendant des années, » car cela fait six ans que les travailleurs étaient régulièrement mis en chômage temporaire pour raisons économiques. « Financièrement, ce n’était pas évident. On gagnait 300 à 400 € de moins par mois. Pour certains collègues, c’était tellement difficile qu’ils ont fini par chercher un autre emploi. Nous, on s’en sortait à deux, mais si j’avais été seul à cette époque, j’aurais probablement aussi déjà quitté l’entreprise. Tout est cher et les factures ne cessent d'arriver, bien sûr.  En outre, cela fait six ans que je n'ai plus travaillé une semaine entière. Imaginez-vous … pas évident physiquement pour quelqu’un de 56 ans ! Nous sommes donc au pied du mur, mais une chose est sûre : on n’a rien à se reprocher ! Nous avons travaillé jusqu’à la dernière minute, malgré la situation. » Jan acquiesce. Pour lui, le problème n’a jamais été les travailleurs, mais bien les nombreuses décisions erronées de Tupperware aux États-Unis.

La direction locale n'est pas en cause Jan
Outre le travail remarquable du personnel qui a fait preuve de résilience, on ne peut pratiquement rien reprocher à la direction locale. « Le seul grief que j’ai envers eux, c’est leur manque de communication, que ce soit avec la presse ou avec les dirigeants aux États-Unis. La direction aurait pu se montrer plus ferme et reprendre le contrôle du récit, » estime Jan. « Il y a quelques semaines, par exemple, nous sortions d’une réunion, et c’était comme si on venait d’annoncer que Ronaldo signait à Gand ! On n’avait jamais vu ça : il y avait au moins dix caméramans, toute la presse nationale était là. Et pourtant, la direction locale n’a répondu à rien, absolument rien. »

En interne, en revanche, le directeur communiquait bien. Il évoquait la prise des congés d’ancienneté, des jours payés, des jours d’âge, etc. À un moment donné, il a même payé lui-même les salaires des travailleurs. « Notre patron a, après s’être bien informé, payé nos salaires semaine après semaine en janvier… alors même qu’aucun travail n’était effectué. Il nous a soutenus jusqu’au bout, et je trouve ça très beau, » déclare Gunther. «  Il a également organisé une foire à l'emploi spéciale au sein même de Tupperware. Quarante entreprises locales, en quête de talents motivés, ont offert de nouvelles opportunités et perspectives aux anciens travailleurs de Tupperware. Selon Gunther, ce geste a été très apprécié ! Ils savaient que leur directeur n’était pas comme ses prédécesseurs. Ainsi, les travailleurs allaient directement vers lui lorsqu’il entrait dans l’usine. Lors de ses derniers discours, il avait toujours la gorge nouée… il était dans la même situation qu’eux. Comme les autres travailleurs, il va perdre une somme considérable.

Faillite acceptée
Après des mois d’attente, The New Tupperware Company a enfin accepté la faillite. L’entreprise assume enfin sa responsabilité sociale ! Pourtant, pour Jan, Gunther et leurs collègues, une question demeure : comment en est-on arrivé là ? « Après tout ce temps, nous ignorons toujours pourquoi les dirigeants américains ont décidé de retirer la licence. Nous n’avons jamais eu de message clair » déplore Jan.

Ces derniers mois ont été éprouvants pour les travailleurs. L’incertitude pesait lourd tant que la faillite n’était pas actée… et aujourd’hui encore, les questions restent nombreuses : comment tout cela va-t-il être géré ? L’usine et ses machines seront-elles revendues ou rachetées ? Les travailleurs recevront-ils une indemnité de licenciement correcte ? Jan: « Je crains que dans quelques années une loi Tupperware vienne à voir le jour. Et j’espère simplement que les travailleurs de Tupperware en bénéficieront… même si cela prendra du temps avant qu’ils ne soient indemnisés. » Il insiste également sur la nécessité de réformes politiques pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. « Sinon, qu’est-ce qui empêcherait la prochaine Audi de faire la même chose ? Il faut que nos politiques prennent enfin la mesure de la situation ! »

« Entièrement d’accord ! » renchérit Gunther. « Enfin, je voudrais remercier mon secrétaire, même si tout n’est pas encore terminé. Nous continuerons à nous battre ensemble ! Une chose est sûre : lorsque j’intégrerai une nouvelle entreprise, je ne serai plus délégué syndical… mais je serai toujours là pour mes collègues. »